Après nous avoir embarqué dans une chevauchée fantastique qui parcourait des steppes arides de l’Afghanistan, Eric Bouvron nous convie, cette fois, au cœur du palais des Khan et des arcanes du pouvoir. Avec un décor minimaliste, des comédiens épatants, une chanteuse lyrique et des musiciennes mongoles aux voix envoûtantes, il compose une fresque intense mêlant politique, trahison et histoire d’amour… Une invitation au voyage à ne pas rater !…
Une musique ensorcelante, créée et interprétée par Didier Simione, emplit la salle de sonorités exotiques et accompagne les spectateurs jusqu’à leur siège. Les notes, rappelant quelques chants religieux hindouistes, s’égrènent doucement embarquant le public dans un voyage statique à travers l’espace et le temps. Après une brève obscurité, des ombres s’agitent sur scène. Un homme, massif, s’allonge sur une estrade recouverte d’une peau de mouton. C’est le petit fils de Gengis Khan, Kublai (tonitruant et imposant Laurent Maurel). Il est rejoint par une femme, aux traits asiatiques, et aux longs cheveux lâchés en cascade de boucles. Lumineuse, tendre, la quatrième épouse (rayonnante Jade Phan-Gia) prodigue les soins les plus doux à son homme. Très vite, ces deux là sont cachés par une grande dame, portant tunique blanche (envoûtante mezzo-sopprano Cécile Meltzer) et deux chanteuses-danseuses en tenue traditionnelle mongole (hypnotiques Ganchimeg Sandag et Bouzhigmaa Santaro). Dans l’ombre, côté cour, un homme de dos attend. C’est Marco Polo (ténébreux Kamel Isker).
Lentement, après un prologue musical envoûtant, on pénètre dans l’intimité du grand guerrier. On découvre son penchant incontrôlé pour sa jeune épouse, celle qui nomme sa petite hirondelle. Gracile, elle chante et danse pour son seigneur et maître. Douce, elle panse ses blessures et les maux qui le rongent. L’idyllique tableau volera bientôt en éclats. L’arrivée dans ces contrées lointaines d’un étranger venu d’Occident va perturber le trop fragile équilibre. Beau parleur, Marco Polo va capter l’attention de Khan et séduire sa trop jolie compagne. Se forme alors un trio amoureux dont l’issue ne peut être que fatale.
Reprenant les ingrédients qui ont fait le succès de son adaptation des Cavaliers de Joseph Kessel, récemment auréolée d’un Molière, Eric Bouvron signe une fresque captivante, une épopée initiatique où le jeune et candide Marco Polo sera confronté à la dureté du pouvoir, la cruauté des puissants et la force d’une passion dévorante. Afin de nous laisser imaginer la demeure de ce seigneur de guerre mongol, il s’appuie sur une scénographie minimaliste où la musique et les chants, qu’ils soient lyriques ou plus gutturaux, servent d’éléments déclencheurs. L’effet est bluffant, des odeurs orientales de safran semblent flotter dans les airs, la brise légère distillée par la climatisation fait penser au vent frais qui balaie les steppes.
La magie de cette plongée aux confins de l’Asie doit beaucoup à l’interprétation des trois comédiens. Laurent Maurel prête sa stature de colosse et sa voix grave et forte à ce Khan, fier guerrier et homme de pouvoir. Touchant et fragile dans l’intimité de la chambre, il devient un fauve cruel, avide de sang, pour venger son honneur. Silhouette juvénile, Kamel Isker se glisse avec aisance dans le rôle de l’insouciant aventurier. Hâbleur, fougueux, il perdra de sa superbe arrogance de jeune coq quand la femme qu’il aime montrera un courage exemplaire, qu’il ne saura égaler. Quant à Jade Phan-Gia, son jeu s’intensifie au fil de l’action pour finir par exploser dans la passion amoureuse et la défense de son unique amour.
Une nouvelle fois, Eric Bouvron nous fait quitter la cité des papes pour une magnifique balade au cœur de l’Asie. Moins émerveillé par cette seconde pièce, fort similaire dans la forme aux cavaliers, on n’en est pas moins séduit par son étonnante capacité à raconter de belles histoires mêlant aventure et poésie… En somme, prennez un billet pour ce fabuleux voyage immobile.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Marco polo et l’hirondelle du Khan d’Eric Bouvron
Reprise
Théâtre de La Bruyère
5, Rue la Bruyère
75009 Paris
A partir du 13 septembre 2017
du mardi au samedi à 21h et en matinée le samedi à 15h30
Durée 1h30
Festival OFF d’Avignon 2016
Théâtre Actuel
Une pièce écrite et mise en scène par
Eric Bouvron assisté de Victoire Berger-Perrin
Avec Jade Phan-Gia, Kamel Isker, Laurent Maurel
et les musiciennes et chanteuses mongoles Ganchimeg Sandag et Bouzhigmaa Santaro,
et la chanteuse mezzo-soprano Cécile Meltzer
Collaboration artistique : Damien Ricour-Ghinea
Costumes : Sarah Colas
Musique et son : Didier Simione
Création lumière : Edwin Garnier