Les mots coulent, fluides, vivants, enivrants. Ils nous emportent dans un monde fantasmé, loufoque, plein de poésie et de mélancolie. Ils racontent avec force détail la vie morne presque pathétique de cet homme banal, transparent qui voit son postérieur grossir à vue d’œil. L’handicap est de taille. D’invisible, d’intangible, il devient sujet de raillerie, de moquerie pour le commun des mortels. Fuyant la compagnie de ses odieux congénères, en quête d’un monde meilleur, il trouvera après un long chemin fait d’embûches et de désillusions, la liberté et peut-être l’amour. Porté par le magnétique Brice Hillairet, le conte noir de Pierre Notte est un enchantement, quelques minutes de poésie dans nos sombres quotidiens.
La scène est dépouillée. Juste quelques vêtements sont pendus dans un recoin de la salle, côté cour. D’un escalier dérobé émerge un jeune homme. Dos au public, il se campe devant ce dressing de fortune, sous le regard interrogateur des spectateurs. Il se dénude offrant une vue imprenable sur son postérieur rebondi. Puis se rhabille. Pantalon informe terne, chemise trop grande et pull sans manche bordeaux, il se glisse sur le plateau. Il semble sans âge.
Courbé, en retrait, il se lance dans un long monologue. Il raconte sa terne et monotone existence d’homme fade, insipide, un de ces êtres que personne ne remarque, sur qui tout glisse, qui semble incapable de se passionner, de s’enthousiasmer. Discret, mal à l’aise en toute circonstance, il se heurte à la dureté du monde, à son incompréhension. Tout change le jour où ses fesses ont décidé de gonfler de manière inconsidérée, démesurée. Devenu plus que visible aux yeux des autres, il doit après leurs indifférences essuyer leurs moqueries, leurs quolibets. Devant les méchantes plaisanteries des hommes, leurs sarcasmes et leurs rires railleurs, il fuit, s’échappe du monde. Il plonge dans la Seine et se laisse porter par le courant. Embarqué bien malgré lui dans une course folle, insolite, il fait la rencontre d’une otarie et d’un homme tronc qui lui donneront foi dans les autres, le libèreront de ses démons et lui offriront peut être la potentialité d’un amour pur et absolu.
De sa plume prolixe, légère et poétique, Pierre Notte nous entraîne dans un parcours initiatique intense et sépulcral. Sondeur de l’âme humaine, de sa noirceur, il égratigne avec finesse nos travers, nos sociétés aigries et nombrilistes. Mélancolique, il aborde dans ce conte sombre des thèmes qui lui sont chers : solitude, timidité, carcan sociétal lourd et pesant. Optimiste sur le fil, il croit toujours en la possibilité d’une échappatoire salvatrice, d’une prise en main consciente de son existence pour s’émanciper et enfin vivre hors du monde, du temps.
Afin de transcender ses mots et les laisser nous envahir, Pierre Notte a privilégié une mise en scène des plus sobres qui met uniquement l’accent sur une interprétation habitée. Ainsi, la complexe tâche de donner vie à cette fable surréaliste revient au troublant Brice Hillairet. Physique de jeune premier, il se glisse avec facilité dans la peau de cet être gauche et s’empare avec grâce et retenue de ce texte poétique nous entraînant sans peine dans son sillage. La voix douce, il débite avec virtuosité ce monologue-fleuve étonnant, ensorcelant. Magnétique, hypnotique, le jeune comédien nous fait quitter la terre ferme pour un voyage dans des contrées imaginaires et fantasmées.
Les mots de Pierre Notte et le jeu fin de Brice Hillairet font de cette Folle Otarie un des coups de cœur sans contexte de ce 50ème festival OFF d’Avignon, une parenthèse poétique et drôle qui réchauffe les cœurs et fait oublier la morosité de ces temps troublés… fascinant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Avignon
Ma folle Otarie de Pierre Notte
Festival OFF d’Avignon
Théâtre des Halles – La chapelle
Rue du Roi René
84000 Avignon
du 6 au 27 juillet à 14h, relâche le 11, 18, 25 juillet
durée 1h10
texte et mise en scéne de Pierre Notte
Avec Brice Hillairet
Lumières de Aron Olah
Crédit photos © Pierre Notte