Chevelure dense, brune, bouclée, silhouette épanouie, Camille Claudel reprend vie sur scène sous les traits des Zidi, mère et fille. Femme éperdue d’amour, de vie, bafouée par les hommes, internée par ses proches, la belle sculpteuse se livre sans fard grâce à un étonnant jeu de miroir. D’un côté, la jeune Camille pleine d’illusions se donne à corps perdu dans ses passions, l’art et Rodin, de l’autre la folle et âgée Claudel, paranoïaque, se bat contre des fantômes, la bassesse des hommes, la dureté de sa famille. Par touche, la plume fine, intelligente d’Hélène Zidi, dessine le portrait intime d’une femme vibrante, d’une artiste passionnée… Fascinant !…
Sous les magnifiques voûtes d’une chapelle du XVe siècle en pleine rénovation, une salle comble attend dans le silence. Le claquement d’une canne se fait entendre. Venant du lointain, le pas traînant, une vieille dame, mal attifée, cheveux gris, entre en scène. C’est Camille Claudel (fantastique Hélène Zidi). Elle à 78 ans, cela fait 30 ans qu’elle vit recluse dans un établissement de santé, qu’elle subit les rebuffades de sa famille, du personnel de l’asile. La mort approchant, l’artiste, la femme qui a tout perdu par amour, égrène ses souvenirs, les heureux comme les plus douloureux, qui l’ont marquée dans sa chair et ont précipité son esprit dans la folie. Elle dresse le portrait peu flatteur de ses proches, de ceux qu’elle a aimés et qui l’ont abandonnée ou pire poignardée dans le dos. Talentueuse, brillante, elle a fait des envieux dans un univers trop masculin. Amoureuse passionnée, elle s’est laissée dévorer par son mentor. Nostalgique, combattante, elle rêve encore à une possible échappatoire, à retrouver l’amour des siens.
Dans un bruissement de jupons, un pas alerte, vif retentit. C’est autour de la Jeune Camille (rayonnante Lola Zidi) de faire son apparition. Elle a tout juste 20 ans. Elle est belle dans sa magnifique robe rouge créée par Marvin Marc. Fille d’une famille bourgeoise, elle se rêve sculpteuse. Passant ses journées les mains dans la glaise, elle n’a qu’un désir, rencontrer le célèbre Rodin dont elle admire le travail novateur, afin se de devenir son élève. Libre, Heureuse, souriante, elle croque la vie à pleines dents. Elle se livre sans fard, prenant le spectateur à témoin. Elle dégage douceur et volupté, qui séduisent l’homme. Son talent fait le reste et subjugue le sculpteur. Il ne s’y est pas trompé, la jeune Camille est une grande artiste en devenir, une de celle qui invente, qui innove. L’amitié qu’il lui porte, se transformera en passion, une passion charnelle et destructrice, qui aura raison de la frêle jeune femme.
Avec finesse et retenue, Hélène Zidi nous entraîne dans la chute de la belle sculpteuse. De sa plume ciselée, foisonnante, elle suit pas à pas les étapes de la folie qui la gagne un peu plus chaque jour. Paranoïaque, elle sombre dans l’alcool pour faire taire ses démons, oublier les gens qui la spolient. Avec virtuosité, la comédienne et auteure imagine un jeu de miroirs où la jeune Camille confierait ses peines, ses blessures, ses fêlures à son double âgé. Comme si elle cherchait une approbation à ses choix, une explication sur ce qui lui arrive dans le regard voilé de celle qu’elle sera dans plusieurs années. Dans l’atelier recréé avec forces détails, les deux Camille se confrontent, s’affrontent et se livrent. Les corps se frôlent, s’effleurent sans jamais se toucher, chacune étant l’ombre de l’autre. Dans ce singulier dialogue, les mots résonnent, sourds, vibrants, intenses. Les regards se fuient. L’effet est captivant d’autant plus qu’au fil de la pièce l’une vieillit, l’autre rajeunit pour converger vers le moment de la bascule, le jour de l’internement. Au détour d’un tableau, Clotho, l’une des œuvres majeures de Claudel, semble même prendre vie.
Un ingénieux décor imaginé par Francesco Passaniti, rappelant l’atelier de l’artiste – œuvres en cours d’exécution, poussières volant au gré des mouvements, tables maculées de glaise, etc.- , Hélène Zidi signe une pièce intimiste, forte et touchante. Elle nous invite dans l’âme de cette femme tourmentée, passionnée, de cette sculpteuse géniale, fascinante. En plaçant le buste de Rodin au cœur du décor, elle en fait le pivot de l’histoire, la figure tutélaire, l’objet de désir que l’on touche, que l’on caresse, celui par qui le mal arrive. En utilisant la voix de Gérard Depardieu, celui qui incarne à tout jamais le sculpteur dans l’inconscient collectif suite au chef d’œuvre de Bruno Nuytten, elle ancre le spectacle dans une réalité sublimée, comme si Camille était toujours là, présente, errant sur scène entre les fantômes du passé.
En interprétant elle-même Camille âgée, et en confiant à sa fille le rôle de la jeune sculpteuse, Hélène Zidi se sert de leur ressemblance pour donner vie à l’artiste. Alors que Lola Zidi se glisse avec virtuosité dans le corps de la jeune femme insouciante, pleine d’entrain, la metteuse en scène incarne une Camille vieillissante, usée par les maltraitances subies réelles ou fantasmées. Les deux comédiennes sont magistrales, quand l’une envoûte, l’autre séduit. Chacune à sa manière est Camille, une femme entière, humaine, sincère, a qui on a tout pris, art, liberté et existence… Elles nous invitent dans un voyage hors du temps, un moment d’une intense beauté où dans les ombres, les jeux de lumières, les clairs obscurs, les œuvres de Claudel semblent prendre vie.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Camille contre Claudel d’Hélène Zidi
Festival OFF d’Avignon
Théâtre du Roi René
4Bis, rue Gravolas
84000 Avignon
du 6 au 30 juillet 2016 à 14h, relâche le 11, 18 et 25
durée 1h25
avec Lola Zidi, Hélène Zidi et la voix de Gérard Depardieu
Mise en scène d’Hélène Zidi
Chorégraphie de Michel Richard
Lumière d’André Diot
Son de Vincent Lustaud
Costumes de Marvin Marc
Décor de Francesco Passaniti
Crédit photos © Julien Jovelin