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Auf dem gebirge hat man ein Geschrei gehört, inquiétant et sombre ballet

Une nouvelle fois, une pièce chorégraphiée de Pina Bausch enflamme le théâtre du châtelet. En association avec le théâtre de la Ville, est donné le ballet sombre Auf dem gebirge hat man ein geschrei gehört.

La peur se lit sur les visages. Les corps des danseurs semblent pris de spasmes. Les mouvements sont saccadés, précipités, tourmentés. Les gestes vifs, violents, troublants. L’air se fait rare. L’atmosphère se fait lourde, pesante, presque oppressante. Puis, dans cette sombre ambiance, une apparition incongrue, burlesque, presque tendre, fait naître l’espoir d’un autre monde, meilleur. D’un tableau fugace, pureté et beauté surgissent intenses, bouleversantes. Ainsi, 30 ans après sa création, le ballet noir de Pina Bausch saisit et captive toujours autant. Incroyablement moderne, il émeut aux larmes.

Le ballet s’ouvre sur une scène recouverte de terre glaise, noire, lourde. Dans un silence pesant, des silhouettes s’agitent au loin. Visages apeurés, regards interdits, les danseurs affolés du Tanztheater wuppertal sont pris dans un tourbillon, une course effrénée pour échapper à une invisible menace qui semble s’abattre sur eux, qui les terrorise. Ils bondissent, tournent, virevoltent envahissant la salle. Ils fuient, s’échappent. L’ambiance est limite suffocante. Puis, une incongruité vient rompre le cycle infernal, sombre. Un étrange clown, sorte de pantin géant portant bonnet et maillot de bain rouges, nez écrasé, traverse la scène de son pas  robotique. Si l’image burlesque prête à rire, très vite, elle dévoile une autre angoisse, plus sourde, plus terrible. Dans un mouvement quasi automatique, répétitif, il gonfle jusqu’à l’explosion des ballons de couleurs chatoyantes. A nouveau, une autre cocasserie casse l’angoissante mécanique. Dans un cri, montée sur une chaise, Nazareth Panadero dresse, de sa voix rauque, le portrait peu reluisant, mais tellement comique d’un illustre inconnu.

TWPB_Auf_dem_Gebirge_2016_Auswahl_A-12_©LAhola_@loeildoliv

Petit à petit, Pina Bausch esquisse un monde insolite, inquiétant. Elle explore nos peurs, les traque dans notre quotidien, dans nos sociétés contemporaines. Certains tableaux évoquent un cataclysme mondial, d’autres, la crainte de l’étranger, des bizarreries de la vie. Elle cherche inexorablement les sentiments enfouis au plus profond de nous. La chorégraphe allemande met en mouvement nos pires cauchemars, nos plus insondables douleurs. Elle les expose, les dissèque afin d’en extraire une éphémère pureté. Les gestes, les postures font écho en nous, magnifiquement. Ainsi, à la violence succède la tendresse. Aux coups de poings, aux gifles, se substituent des baisers volés ou forcés.

Dans cet étrange chaos, dans l’ombre de nos peurs, derrière les nuages de brumeuses vapeurs, une image d’une rare et intense beauté apparaît. En arrière-plan, on peut ainsi voir une femme presque nue se parer de voile et incarner une liberté retrouvée. Autre tableau, autre moment, un orchestre envahit le plateau guidé par la magistrale et magnétique Julie-Anne Stanzac, un des piliers de la compagnie. Une farandole s’improvise, sublime, émouvante.

Auf_dem_gebirge-7_Pina_Bausch_©Jochen_Viehoff_@loeildoliv

Si Pina Bausch dessine un monde de tourments, elle sait le rendre supportable en distillant des touches burlesques, cocasses. Passant d’un réalisme cru à l’absurdité de certaines situations, elle imagine des corps à corps, des danses au sol, des corps qui s’empilent et s’emboîtent violemment, des sortes de vers humains en transe. 30 ans avant, avec une terrible lucidité, elle semble déjà envisager le sort des réfugiés : une nage folle sur la terre, un matelas évoquant un radeau à la dérive.

Décidément, la chorégraphe captive. Elle nous entraîne dans son sombre univers, elle nous montre les beautés cachées d’un monde en perdition. Sur une bande-son où grésillent les voix de Billy Holliday, de Boris Vian ou de Fred Astaire, Pina Bausch, secondée magistralement par la troupe du Tanztheater wuppertal, brouille les pistes, touche l’obscur autant que le sublime …

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Une nouvelle fois, une pièce chorégraphiée de Pina Bausch enflamme le théâtre du châtelet. En association avec le théâtre de la Ville, est donné le ballet sombre Auf dem gebirge hat man ein geschrei gehört

Auf dem gebirge hat man ein geschrei gehört de Pina Bausch
Théâtre de la Ville –Théâtre du Châtelet
1 Place du Châtelet
75001 Paris
Jusqu’au 26 mai 2016
Tous les jours à 20h00, le dimanche à 16h30. Relâche le lundi.
Durée 2h30 avec entracte

une pièce de Pina Bausch
mise en scène & chorégraphie de Pina Bausch
décor de Peter Pabst
costumes de Marion Cito
collaboration : Hans Pop
collaboration musicale : Matthias Burkert
dramaturgie de Raimund Hoghe
avec la troupe de la compagnie Tanztheater wuppertal
musique de Tommy Dorsay, Billie Holiday, Henry PurceIl, Heinrich Schütz, Felix Mendelssohn Bartholdy, Gerry Mulligan, Johnny Hodges, Fred Astaire, Boris Vian, Irish bagpipe music & un orchestre de musiciens seniors

Création 13 mai 1984, Schauspielhaus Wuppertal.
Droits de représentation L’Arche Éditeur, Paris.

Crédit photos © Lahola & © Jochen Viehoff

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