Silhouette noire, longiligne, Israël Galván investit avec maestria la scène du théâtre de la Ville et lui donne des airs de fête, de spectacle burlesque. De ses pieds tendus, il frappe, claque le sol de ses talons. De ses mains, légères, souples, il dessine avec virtuosité des arabesques élégantes et gracieuses. De son corps, tendu, mais étonnamment élastique, flexible, il danse, tourne, virevolte au rythme des tonalités, des sonorités. Une nouvelle fois, il s’attache à déconstruire le flamenco, dont il connaît les moindres contours, les plus infimes détails, pour écrire une autre histoire entre tradition et modernisme. En invitant le public dans un cabaret burlesque où se mêlent autodérision et introspection, le chorégraphe s’amuse des certitudes, des croyances. Il flirte avec les lignes, les genres, les styles, entraînant le spectateur dans un monde onirique, insolite, au cœur de l’intime… Stupéfiant !…
Sur scène, un pupitre, un soulier blanc en terre cuite, différents instruments sont déposés ça et là, attendant qu’un musicien leur arrache un son, une note. Salle éclairée, une silhouette se faufile. Tout de noir vêtu, un tablier blanc de cuisinière, l’homme fend l’air, tel une lame d’acier. Il se dirige vers un lutrin, tourne les pages. Les premiers mots rompent le silence. Ils sont en espagnol. Les syllabes roulent, invitant au voyage. En arrière-plan, une musicienne traduit les paroles du chorégraphe.
Puis, les premiers mouvements viennent secouer le corps du sévillan. Cadencés, rythmés, ils imposent une mélodie. Les talons des souliers qui claquent le sol ponctuent l’étonnante ritournelle. Si les gestes sont décousus, ils n’en sont pas moins maîtrisés, millimétrés. Elégant, racé, Israel Galvàn imprime au flamenco sa propre grammaire. Il déconstruit encore et toujours cette danse empreinte de tradition. Il creuse, il cherche à lui donner un autre sens, moins tragique, moins dramatique, quitte à perdre émotion, émoi et trouble.
Pourtant, devant l’étonnante virtuosité, le public retient son souffle. Seul sur scène, l’homme danse, virevolte avec une pétulance, un phrasé qui lui est propre. Les mains, telles deux oiseaux, dessinent des figures d’une rare finesse. Les gestes sont abrupts, acérés, précis. Les lignes du flamenco sont cassées, réinventées, épurées. Les jetés de jambes sont brisés, les poignets tendus.
Le visage fermé, l’homme joue, s’amuse. En un battement de cils, il passe d’un rythme, d’une cadence, d’un style à l’autre. Il revisite les formes, les mouvements, mélange le traditionnel au contemporain. Il vibre au rythme des sons, se laisse porter par les notes. Il prend plaisir à se dévoiler, à offrir au spectateur un peu plus de lui-même. Tantôt pieds nus, tantôt portant corset, il est homme, femme à la fois. Il navigue dans un monde poétique, cocasse, bigarré et festif. Il réinvente la danse en lui communiquant sa propre vitalité, sa propre histoire. Loin du paraître, Israel Galvàn se veut au plus près de la salle, de son public. Grâce à une avant- scène, il l’approche, le frôle. Avec un des chanteurs à la fois grave, rocailleuse, qui l’accompagne, il vient tutoyer les premiers rangs dans une danse frénétique, passionnée/
Subjugué par autant de maîtrise, d’élégance, de don de soi, le spectateur est pourtant parfois dérouté par ce ballet « ovni » outrancier et flamboyant, par ce concert détonant, mêlant les sonorités, passant du free jazz au rock expérimental, des chants traditionnels à une musique plus contemporaine. Dans cette épopée fantastique, burlesque et initiatique, le danseur est lui aussi musicien et instrument. D’un coup de pied, il joue de la caisse d’une batterie, il frappe un sol acoustique ou danse sur un tas de pièces de monnaie.
Tel un feu follet, toujours en mouvement, il déploie avec ingéniosité, gestes, nuances et postures. Tableau après tableau, il emmène la salle au cœur de l’intime, dans un univers patchwork qui déconcerte certains et enchante d’autres. Jamais, la danse du sévillan n’a été aussi personnelle, aussi viscérale. Pratiquant l’autodérision, il laisse tout un chacun entrevoir l’homme derrière l’artiste… Brillant, fascinant !…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
FLA.CO.MEN d’Israel Galván
Théâtre de la Ville
2, Place du Châtelet
75004 Paris
Jusqu’au 11 fèvrier 2016-02-09
du mardi au samedi à 20h30
Durée 1h30
direction, chorégraphie & danse : Israel Galván
musiciens : David Lagos, Tomás de Perrate, Eloisa Canton, Caracafe, Proyecto Lorca (Juan Jimenez Alba & Antonio Moreno)
direction artistique et chorégraphie de Sevillanas : Pedro G. Romero
mise en scène & chorégraphie de Alegrías : Patricia Caballero
lumières de Rubén Camacho
son de Pedro León
costumes de Concha Rodríguez
Crédit photos © Hugo Gumiel