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Le Roi Lear, une tragédie hollywoodienne asphyxiée

Une nouvelle adaptation du Roi Lear de William Shakespeare fait les beaux jours du Théâtre de la Madeleine.

En plaçant son Roi Lear dans l’Hollywood des années folles, Jean-Luc Revol donne du lustre, de l’élégance, des strass et des paillettes à cette tragédie shakespearienne, mais en expurge la noirceur et l’âpreté. Loin de la « trash version » d’Olivier Py qui a tant fait couler d’encre cet été en Avignon, cette nouvelle adaptation, trop sobre, manque de souffle, de puissance et de folie. Malgré une distribution de haut vol, menée par un Michel Aumont gentiment royal, une scénographie brillante, un décor élégant, la belle mécanique s’enlise sur la longueur faute d’élan et d’envolée lyrique… Toutefois, le parfum d’antan et l’atmosphère douce et chaleureuse qui se dégage de la scène séduit sur le fil…

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La scène du théâtre de la Madeleine est à l’état brut. Les murs sont sombres, noirs, rappelant l’ambiance des studios hollywoodiens. Au premier plan, un mobilier « art déco » élégant, bois précieux, dorures, soieries, évoque l’intérieur cossu d’un nabab de l’âge d’or du cinéma américain. Une mélodie jazzy résonne. Tous font la fête autour du vieil homme, le Roi Lear (digne et élégant Michel Aumont). L’instant est d’importance. Au crépuscule de sa vie, le grand producteur souhaite se reposer et décide de redistribuer son empire entre ses trois filles : l’aînée, Goneril (impeccable et calculatrice Marianne Basler), la cadette, Régane (perfide et cruelle Anne Bouvier) et la benjamine, Cordélia (douce et aimante Agathe Bonitzer).

Pour obtenir une part du gâteau, chacune doit faire allégeance en prouvant son amour filial et en acceptant de s’occuper de l’ex-monarque et de sa suite, à tour de rôle. Les deux aînées, assoiffées de pouvoir, de richesse, cachent mal leurs ambitions derrière les paroles flatteuses, les flagorneries et les sourires angéliques. Avide d’amour, le vieux roi n’y voit que du feu et cède aux cyniques et hypocrites caresses. Seule, la pure et préférée Cordélia se refuse à ces simagrées, estimant que l’amour sincère n’exige pas de telles preuves outrancières. Blessé dans son orgueil, confondant franchise, sobriété et insensibilité, Lear déshérite son enfant chérie et la bannit. Seul, le fidèle comte de Kent (droit et solide Bruno Abraham-Kremer) tente de s’opposer à cette décision fatale qui mènera le vieux monarque à sa perte, s’enfonçant chaque jour un peu plus dans la folie.

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En transposant son Roi Lear à la veille du crack boursier de 1929, Jean-Luc Revol accentue l’image d’Epinal d’un monde insouciant, glamour, au bord du précipice. La chute est irrémédiable, les serpents ont pris possession des derniers remparts pouvant éviter le drame. Ingratitude, perfidies et trahisons ont fini par avoir raison de la vertu, de la justice et de la loyauté. Les paroles ne sont plus que mensonges et venins. La vérité n’est plus que l’apanage du fou du roi (burlesque Denis D’Arcangelo) que plus personne n’écoute. Dans cet univers de perversion, angélisme, pureté et naïveté sont broyés sans états d’âme. L’espoir se meurt à petit feu, à l’instar de l’esprit de Lear qui se délite ne supportant pas la méchanceté et la félonie de ses filles.

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En s’emparant de cette tragédie en cinq actes de Shakespeare, pleine d’embûches et de chausse-trappes, le metteur en scène s’est lancé un défi titanesque .Si la violence du texte est respectée, sa noirceur et son âpreté sont peu perceptibles, noyées dans le strass, l’ostentation, et le glamour. Trop appuyés, les effets cinématographiques – les changements visibles de décors en sont le point d’orgue –nuisent au propos et enrayent la belle mécanique. Entre divertissement et grand spectacle, ce Roi Lear manque au final de puissance, de force et de folie. Bien que les souffrances des protagonistes et l’horreur de la tragédie familiale soient palpables, l’absence d’un parti pris tranché se ressent. La tragédie en sort amoindrie, le lyrisme sombre du Roi Lear, affadi.

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Comme de beaux diables, les comédiens se démènent pour faire vibrer le magnifique texte de Shakespeare, sans y parvenir tout à fait. Ils semblent à l’étroit dans cettemise en scène un peu trop lisse. Marianne Basler, flamboyante séductrice, magnifique garçonne, semble engoncée dans ses très belles robes d’inspiration « charleston » et n’arrive pas à exprimer toute l’aridité et la méchanceté de son personnage. Anne Bouvier semble, elle aussi, être tombée dans les mêmes travers, confondant cruauté cynique et hystérie. Quant à Agathe Bonitzer, elle est lumineuse, mais tellement spectrale qu’elle tend vers l’invisibilité.

Côté masculin, l’excellent Michel Aumont, tout en retenue, interprète un roi Lear hébété, bougon et têtu, s’enferrant dans une folie douce, loin de l’aliénation totale qui devrait l’envahir. Il finit par se fait voler la vedette par Jean-Paul Farré, fabuleux Gloucester. Son jeu à fleur de peau, tout en finesse et émotion, séduit et touche au cœur. En fils renié, José-Antonio Pereira s’épanouit derrière le masque de la folie et compose un Edgar fascinant, délirant. Et Denis d’Arcangelo est parfait en fou décalé et humain.

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D’un Roi Lear à l’autre, il semble bien que cette sombre « pièce culte » de Shakespeare a bien dû mal à prendre vie sur les planches. Quand l’un signe une mise en scène crue, violente, lyrique mais chaotique, l’autre, trop classique, offre au texte du tragédien britannique un magnifique mais trop lustré emballage « fitzgéralidien » perdant au passage sa noire poésie…Toutefois, la version de Jean-Luc Revol, plus audible et plus sobre, se laisse voir sans aucun déplaisir et offre un très beau voyage visuel qui mérite le déplacement…

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Le roi Lear De William Shakespeare
Théâtre de la Madeleine
19 Rue de Surène
75008 Paris
Du mardi au samedi à 20h,le dimanche à 17h
durée 2h40 sans entracte

Adaptation et Mise en scène Jean-Luc Revol assisté de Sébastien Fèvre
Avec Michel Aumont, Marianne Basler, Bruno Abraham-Kremer, Agathe Bonitzer, Anne Bouvier, Olivier Breitman, Frédéric Chevaux, Denis D’Arcangelo, Arnaud Denis, Jean-Paul Farré, Nicolas Gaspar, Éric Guého, Martin Guillaud, José-Antonio Pereira, Éric Verdin.
Décors de Sophie Jacob.
Costumes de Pascale Bordet.
Lumières de Bertrand Couderc.
Son & musique de Bernard Vallery.
Création des scènes de combat Albert Goldberg.

Crédit photos © Christophe Vootz

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