Des costumes aux couleurs vives très fin « seventies », des visages grimés à la perfection, des lumières scintillantes de toutes parts, des voix rivalisant d’amplitude, des mouvements et des gestes rappelant la grâce féline, des poèmes chantés, un décor de décharge impressionnant, sont les singuliers ingrédients qui font de Cats, une comédie musicale époustouflante et étonnamment pesante. Les yeux éblouis par des tableaux somptueux, les oreilles emplies de sons mélodieux, parfois démodés, ne suffisent pas toujours à faire oublier le livret décousu, inégal et l’absence d’histoire. Passé ce principal écueil, sur le fil, on est séduit par l’énergie communicative de la troupe et leur professionnalisme.
Alors que le théâtre est plongé progressivement dans le noir, le thème musical de Cats retentit, nous plongeant sans délai dans le monde féérique des Jellicles. Les guirlandes lumineuses scintillent de mille couleurs offrant un feu d’artifice visuel. Des ombres, des silhouettes accrochent furtivement le regard. Les gestes sont déliés, les pas feutrés, les mouvements ondulants. Subrepticement, la scène et la salle se remplissent d’êtres étranges. A leur démarche gracieuse et chaloupée, on reconnaît l’animal : des chats. Leur pelage de lycra brille sous les spotlights. Le premier air est entonné… le spectacle peut commencer.
Dans un décor post apocalyptique, au cœur d’une décharge londonienne, une bande de matous de tout poil, qui se nomment les Jellicles, dansent, tourbillonnent, chantent et miaulent. Tous attendent avec impatience le bal annuel au cours duquel un des leurs aura la chance de renaître de ses cendres. Avant ce fatidique instant, chacun des chats va se présenter et raconter son histoire. Loin d’être une comédie musicale banale, Cats est l’adaptation théâtrale de poèmes tirés du recueil Le guide des chats du vieil Opossum de T.S. Eliot. C’est à la fois sa force – les textes sont ciselés, lyriques – et sa faiblesse – l’absence d’une réelle histoire permettant un passage fluide entre la succession de portraits. À ce défaut inhérent au spectacle et non à la version française, se rajoute la traduction du livret qui relève presque de l’impossible. Aux commandes, Nicolas Nebot et Ludovic-Alexandre Vidal, à qui nous devons déjà l’adaptation française lourde et potache du Bal des Vampires l’an passé, se sont essayés avec plus ou moins d’aisance et de bonne fortune à garder sens et poésie. Si l’ensemble reste cohérent, bien qu’inégal, la rime reste souvent plate. La faute à la multitude de nom de chats, plus extravagants les uns que les autres, qui finissent par embrumer nos cerveaux. S’ajoute à cela, la difficulté de saisir certaines paroles, notamment dans les chansons chorales, tant le volume sonore est fort et les vocalises poussées.
Si l’on n’oublie pas totalement ces pesantes singularités, on finit par se laisser porter par un show délirant et totalement baroque. La vingtaine d’artistes, qui se sont glissés avec facilité dans les pelages « vintage » des Jellicles cats, se donnent à fond et communiquent au public une belle énergie. Prisca Demarez, grimée en vieille chatte solitaire qui fut très belle à n’en pas douter, a la difficile tâche de chanter en français, l’une des plus belles chansons du répertoire des comédies musicales : Memory. Si dès les premières notes, la voix de Barbra Streissand se rappelle à notre bon souvenir, la jeune chanteuse, incarnant avec fièvre et passion Grizabella, charme et envoûte. Mais, c’est bien le pittoresque Pierre-Yves Duchesne qui amuse et enchante en interprétant magistralement le bienveillant et cacochyme chef de tribu, le Vieux Deutéronome.
La force de la troupe est de s’effacer totalement derrière leur personnage. Très vite on oublie leur humanité pour ne voir que leur félinité… Embarqué dans leurs histoires abracadabrantesques de chats, toutes plus picaresques les unes que les autres, on en oublierait presque le son synthétique très « eighties », qu’un coup de jeune très récent n’a pas réussi à gommer totalement.
Incontestablement, Cats est une comédie musicale féérique, magique et ciselée de bonne facture, mais qui s’avère datée et très inégale. Si l’on peut sans doute être déboussolé par l’ensemble, passer à côté serait pourtant dommage… Laissez le temps du spectacle l’esprit félin vous envahir… car ces Jellicles cats là vous donneront force et bonne humeur !…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Cats d’Andrew Lloyd Webber
Théâtre Mogador
5 rue de Mogador
75009 Paris
Jusqu’au 10 janvier 2016
Du mardi au samedi 20 h et le dimanche 15 h
durée 2h40
mise en scène de Trevor Nunn, Gillian Lynne
chorégraphie de Gillian Lynne
Décor de John Napier
avec Axel Alvarez, Denis Lizin, Vanessa Cailhol, Federica Cappra, Cédric Chupin, William Da Silva Pedro, Prisca Demarez, Pierre-yves Duchesne, Alexandra Girard, Grégory Gonel, Yoan Grosjean, Emmanuelle Guelin,Oonagh Jacobs, Katharina Lochmann, Sylvain Mathis, Pascale Moe Bruteier, Emmanuelle N’Zuzi, Virginie Perrier, Lucas Radziejewski, Charlyne Ribul Conte, Alessandro Ripamonti, Yanis Si Ahmed, Els Smekens, Leonie Thoms, Fabrice Todaro, Nicolas Turconi, Wim Van Den Driessche, Rachael Ward, Golan Yosef et Stoyan Zmarzlik
Crédit photos © RUG