La silhouette est gracile, fragile, douce et pourtant si voluptueuse. La voix est enfantine, cristalline, mais avec des intonations profondes et graves. Les tissus sont plumes, tulles, organza, puis fourrure. La mélodie est légère, aérienne tout autant qu’envoûtante. Les mots forment une mélodie onirique, une ode à la femme, à ses forces et à ses faiblesses. Hypnotisé par l’étonnante et féérique beauté visuelle, bercé par l’assemblage poétique et baudelairien des mots, charmé par la joliesse de la mise en scène, le temps semble suspendu. La réalité nous rattrape pourtant avant la fin du spectacle. Une certaine langueur s’installe, distillant en nous l’envie d’abréger de quelques minutes ce moment exquis.
L’argument : Oui, parfaitement. L’amour est le nom qu’il faut.
Une femme et ses silhouettes, ses spectres, ses désirs, ses deuils, ses âges et ses histoires. Elle naît princesse, devient vieille reine. Le temps qui passe la décuple en cent portraits. Pascal Quignard écrit Princesse Vieille Reine pour Marie Vialle, une série de contes, une suite de sonates.
La critique : La salle est plongée dans le silence le plus total, dans le noir le plus obscur. Doucement, furtivement, des bruits de tissus et de gaze qui se frôlent se font entendre. Progressivement, la lumière éclaire le plateau gris perle. Le sol plastifié, tel un miroir, renvoie l’image d’une princesse bondissante. Habillée d’une robe ballon faite de tulle blanc, Marie Vialle apparaît, enfantine, mutine, terriblement vivante. Elle court, elle s’amuse, elle sautille. Ses premiers mots sonnent. Ils sont mélodieux. Sa voix est douce, musicale, légèrement fluette. L’instant est magique, surréaliste, fragile. Les impressions que dégage ce premier tableau font penser aux oeuvres de Magritte. La jeune femme à la silhouette frêle tout autant que charnelle achève son parcours effréné dans un immense sac blanc en plastique. Elle enfouie sa tête, puis son corps. Elle est à la recherche d’une autre tenue, d’une autre personnalité.
Elle se dénude avec grâce, exposant sa chair aux yeux de tous. Pas d’érotisme, juste un moment rare, poétique, sensuel. Puis, elle enfile une simple tunique semblant venir d’un autre temps. C’est celle d’Emmen, fille de Charlemagne. La comédienne s’efface, laissant place à la jeune damoiselle prête à tout pour préserver l’amour de sa vie, investir les lieux. Loin d’un personnage mièvre, on découvre une femme forte, étonnante et ingénieuse. Au lendemain de leur première nuit, pour éviter que son amant se fasse prendre en laissant des traces sur la neige immaculée, elle décide de le porter à califourchon. De cette image ubuesque, les mots de Pascal Quignard s’entremêlent harmonieusement en un magnifique plaidoyer féministe. En effet, « depuis ce temps, prenant exemple sur Emmen, les femmes ont pris l’habitude de porter les hommes sur leurs épaules et de les conseiller, au crépuscule, et encore dans la nuit, et toujours dans l’aube, afin qu’ils survivent. » C’est en tout cas ce qu’affirme avec fièvre et ferveur Marie Vialle. Ainsi s’achève le premier conte onirique de ce singulier spectacle qui mêle intelligemment danse, poésie, théâtre et chant.
Une heure durant, la comédienne va parcourir la carte du tendre, totalement réinventée par l’écrivain, auteur du fabuleux roman Tous les matins du monde. Changeant de robe, d’époque et de pays, elle passe avec allégresse et espièglerie d’une personne à l’autre. Tour à tour, princesse, fillette chinoise de huit ans dont la famille a été décimée par l’homme qui abuse d’elle tous les soirs, adolescente amoureuse de l’héritier de l’empire du soleil levant, chatte, puis vieille reine, Marie Vialle étonne, bouleverse et séduit. Jouant sur les cordes du sensible, elle embarque le public dans ces univers si différents, tantôt érotiques, tantôt bestiaux, mais toujours étrangement poétiques. Passant de l’humour à la détresse, à la tendresse ou à la violence, elle compose des personnages baudelairiens. Ici, « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. » Si le charme de la princesse Vialle est indéniable, si les mots du Roi Quignard emportent, si l’atmosphère est propice aux rêves, une étrange torpeur s’installe… nous sortant un peu trop tôt de cet élégant songe… !…
Princesse Vieille Reine de Pascal Quignard
Théâtre du Rond-Point
Salle Roland Topor
2 bis Avenue Franklin Delano Roosevelt
75008 Paris
Jusqu’au 27 septembre
du mardi au samedi à 20:30
le dimanche à 15h30
durée 1h10
Mise en scène et interprétation de Marie Vialle
scénographie et costumes de Chantale de la Coste
lumière de Jean-Claude Fonkenel
musique de Pierre Avia
conseil artistique de Julie guibert
direction de production et diffusion Emmanuel Magis / Anahi