Handicap, filiation, regard de l’autre et introspection sont le sel et les ressorts de cette comédie de boulevard décalée. De surprises en quiproquos, jouant des codes et des effets, Sébastien Thiéry écrit une pièce juste, drôle, humaine, dénonçant les travers de notre société individualiste. Si on peut regretter le ton un peu superficiel du texte, on est séduit par l’absurdité et l’incongruité du propos, et aussi par la complicité qui lie notre épatant couple de comédiens. En effaçant progressivement ses tics et ses mimiques – véritable marque de fabrique de l’humoriste -, Muriel Robin confirme, une nouvelle fois, et pour notre plus grand plaisir, toutes les nuances de son jeu, nous amenant du rire aux larmes… Si on peut toutefois regretter que l’auteur survole son captivant sujet, il n’en reste pas moins qu’en s’éloignant du vaudeville classique, il signe un spectacle de bonne facture… Un moment fort agréable en somme !…
L’argument : Un soir, en rentrant chez eux, monsieur et madame Prioux découvrent avec stupéfaction qu’un certain Momo s’est installé chez eux. Momo est revenu chez ses parents pour leur annoncer son mariage. Les Prioux, qui n’ont jamais eu d’enfant, tombent des nues, d’autant plus que tout semble prouver que Momo est bien leur fils. Momo est il un mythomane ? Un manipulateur ? Les Prioux ont-ils oublié qu’ils avaient un enfant?
La critique : Le rideau se lève sur les allées d’un supermarché de la banlieue parisienne, nous plongeant dans le trivial quotidien des Prioux, un couple aisé et bourgeois. La femme, Laurence (rayonnante et touchante Muriel Robin) est DRH, le mari, André (dépassé et décalé François Berléand) pharmacien. Alors qu’ils font tranquillement leurs courses, un étrange individu fort agité, plein de rage et parlant un langage incompréhensible, commence à ajouter des articles à leur caddie, avant de le leur voler. Devant l’étrangeté et le surréalisme de la situation, nos deux protagonistes passent de la stupeur à l’incrédulité, de la perplexité à l’énervement.
De retour chez eux, bredouilles, avec l’impression d’avoir perdu deux heures de leur précieux temps, ils découvrent dans leur cuisine les sacs contenant les denrées qu’ils souhaitaient acheter. Surpris, ils élaborent les théories les plus farfelues et les plus délirantes pour expliquer cette situation surprenante, avant de découvrir que l’individu s’est tranquillement installé dans leur chambre d’amis, et qu’il est en train de prendre une douche. Alors que l’étonnement cède à la peur, le surprenant visiteur se présente comme leur fils, dont ils auraient totalement oublié l’existence, et qu’ ils pensaient ne jamais avoir eu…
De quiproquos en situations ubuesques, chacun réagissant en fonction de son caractère, le couple va se déchirer, s’éloigner… et se retrouver. Laurence, en tant que maîtresse femme, va prendre les choses en main. Ne se souvenant pas d’avoir accouché, elle va suspecter son mari d’infidélité. Afin de le pousser à avouer sa faute, elle va jusqu’à le pardonner dans une scène mêlant humour noir, sarcasme et franche rigolade. Les répliques font mouche. Muriel Robin, parfaitement à l’aise, excelle dans ce registre, même s’il est parfois difficile de la comprendre, faute de pousser sa voix. André, plus cartésien, plus méfiant, plus sceptique, a beaucoup plus de mal à avaler la pilule et à croire que ce grand benêt, légèrement attardé, est leur progéniture. Tel un poisson dans l’eau avec ce rôle de parisien grognon et couard, François Berléand se délecte avec malice de son personnage. Si on est totalement pris dans l’engrenage de ce singulier scénario, c’est surtout que le couple de comédiens fonctionne à merveille. Ils nous séduisent grâce à leur sens remarquable de la répartie.
Alors que la pièce prend une tournure kafkaïenne attendue, Sébastien Thiéry s’amuse à brouiller les pistes. Après avoir installé ses personnages dans une comédie de boulevard des plus classiques, il casse les codes et nous embarque dans une histoire totalement délirante, avant de nous entraîner au plus proche des personnages, dans leur intimité et leur souffrance. Il offre ainsi à Muriel Robin un rôle à sa démesure. Après nous avoir fait rire aux larmes, elle nous émeut et nous bouleverse. On est conquis.
Le principal écueil de ce vaudeville décalé et absurde vient du manque de profondeur, quant aux traitements des sujets abordés. Si l’approche est intéressante et mérite d’être soulignée, elle est parfois trop caricaturale et empêche l’empathie avec les personnages incarnés par Sébastien Thiéry (par trop incompréhensible), l’enfant sourd et Ninie Lavallée (odieuse et mal aimable jusqu’à la surdose), la fiancée aveugle.
Ne boudons pas pour autant notre plaisir, la pièce, portée par la mise en scène rythmée et efficace de Ladislas Chollat, est de bonne facture, d’autant plus que derrière les rires et les bons mots, elle amène à réfléchir sur l’individualisme dans nos sociétés modernes, et sur l’incapacité des gens à communiquer… Pas si mal pour une comédie de boulevard qui n’en a d’ailleurs que le nom… Séduit sur le fil !…
Momo de Sébastien Thiéry
Théâtre de Paris
15 rue Blanche
75009
Du Mardi au Samedi à 20h30
samedi 17h00
durée 1h30
mise en scène de Ladislas Chollat
Avec Muriel Robin, François Berléand, Sébastien Thiéry, Ninie Lavallée