A la croisée entre le théâtre, la danse, l’opéra et la transe mystique, Beyond Time de la compagnie taïwanaise U-Theatre est un spectacle-performance étonnant et surprenant qui ne convainc pas totalement nos yeux d’européens. Bien que fasciné, envoûté par la féérie visuelle des tableaux successifs et par les sons sourds des tambours, on reste en retrait de cette grand-messe. Les cassures de rythme permanentes, alternant entre foisonnement des gestes, des sons, et lenteur languissante, en constituent l’écueil majeur, et c’est bien dommage, tant on aimerait entrer en méditation, en communion avec ces artistes d’excellence…
L’argument : Jeux de lumières et de miroirs, percussions envoûtantes et chorégraphie inspirée par le mouvement des planètes : Beyond Time est conçu comme un voyage au-delà de l’espace et du temps. À une scène en trois dimensions aux strates multiples s’ajoute un monde virtuel en 4D fait de projections vidéo et de miroirs disposés au sol. Les mouvements hypnotiques des danseurs, soulignés par le rythme répétitif de la musique et par les faisceaux lumineux qui balaient le plateau, emmènent le spectateur dans un univers visuel et sonore où la vie surgirait du néant. Performance physique autant que spirituelle, Beyond Time est une méditation sur le rapport de l’homme avec l’univers.
La critique : Le rideau se lève sur une sorte de derviche tourneur, version asiatique. De blanc vêtu, devant un rideau de pluie, l’homme tourne, tourne, tourne… Par un effet miroir, cette toupie humaine se reflète sur le sol recouvert d’un tapis noir vernis. L’effet est bluffant. Suspendu aux mouvements de sa tunique, le public semble hypnotisé, subjugué par la beauté de ce tableau si simple, si sobre. Première cassure, les lumières s’éteignent.
Des silhouettes sombres s’agitent sur scène. Des formes rondes se dessinent. Puis, un son sourd déchire le silence, sortant la salle de cette première léthargie mystique. Ce sont les tambours taïwanais. 4 hommes et 4 femmes animent ces instruments de tailles différentes. Les bras se lèvent et s’abaissent dans une cadence presque militaire. Les visages sont crispés, fermés, les gestes sont précis, rapides. Telles des vagues puissantes, intenses, les roulements des tambours emplissent la salle emportant réticences et préjugés. Cette musique singulière qui fait vibrer nos corps et nos cœurs nous enveloppe, nous emporte, nous transcende. C’est de nouveau la rupture. Plongé dans le noir et le silence, le public retient son souffle.
Le mur du fond se met en mouvement. Une raie de lumière éclaire le sol luisant. Un homme entre sur scène. C’est notre derviche tourneur. Ses pas sont lents. Ses gestes empreints de solennité. Bientôt rejoint par deux danseuses, ce pas de trop imprime à l’atmosphère une lenteur particulière. Le temps semble arrêté. Une nouvelle fois, on est subjugué par la beauté, la féerie graphique de cette séquence dansée. Et pourtant, la torpeur et l’ennui guettent. A la moindre faiblesse de notre attention, ils sont prêts à nous reprendre dans leurs filets…
Les tableaux se succèdent alternant lenteur et vivacité. Quand notre esprit semble prêt à entrer en empathie avec ces artistes de haute volée, le rythme est cassé. Le moment est perdu. Et c’est reparti pour un tour. L’effet est déconcertant. Ne sachant plus à quel saint nous vouer, on finit par rester en dehors de cette transe mystique, si élégante et poétique soit-elle…
Mêlant arts traditionnels taïwanais, rites ancestraux et techniques théâtrales contemporaines, le spectacle de la compagnie U-Theatre est clairement atypique, étrange et onirique. Aux danses séculaires répondent des gestuelles empruntées aux arts martiaux, aux positions méditatives du taïchi, des mouvements d’une troupe en mouvement. De ces mixages insolites, ce collectif pluridisciplinaire et protéiforme tire sa singularité et son essence. C’est ainsi qu’il offre au public européen un voyage au-delà du temps et de l’espace, d’une rare beauté.
Partagé entre rêve éveillé et langueur, tiraillé par les ruptures douloureuses du rythme, on émerge de ce songe entre figue et raisin, séduit mais pas bouleversé….
Beyond Time –U-Theatre
Théâtre du Châtelet
1, place du Châtelet
75001 Paris
Jusqu’au 18 septembre à 20H
Durée : 1h 15 sans entracte
Fondatrice et directrice artistique : Liu Ruo-Yu
Directeur musical, compositeur et chorégraphe : Huang Chih-Chun
Scénographie et lumières : Lin Keh-Hua
Costumes : Tim Yip
Vidéo : Hsu Yi-Chun
avec Huang Kun-Ming, Huang Kuo-Chung, Liu Shu-Chih, Chiu Shang Che, Kan Po-Chu, Yang Meng-Ju, Tu Yu-Fong, Chang Ya-Lun, Su Yin-Tsu, Ou Kui-Lan, Liu Ping-Tsen, Li Yan Huei, Hsu Ching-Fang, Sun I-Chin, Niu Li-Sha
