Côté jardin, sur le mur de la façade jaune ocre de l’hôtel Salé qui abrite l’actuel musée Picasso, une silhouette sèche, noire, longiligne, se détache. Au son de la ville, au cri des oiseaux, elle virevolte, tourbillonne, pirouette, dérape et évolue avec une légèreté toute aérienne. Les mouvements fluides puis saccadés rythment cette danse, cette parade amoureuse entre Israel Galván et son public. L’instant semble irréel, suspendu. Les gorges se sèchent, les cœurs battent à l’unisson. La séduction opère. Subjugués, en transe, les admirateurs de l’artiste sévillan, sans voix, abasourdis, applaudissent à tout rompre, conscients d’avoir assisté à un moment unique, d’une rare beauté.
L’argument : à cru, à nu, à découvert… et seul. Après avoir renouvelé le flamenco du talon à la pointe, et mis à ses pieds les plus grandes salles du monde, n’ayant plus rien à prouver à personne, Israel Galván se propose aujourd’hui d’en faire encore plus avec encore moins. Pas d’autre accompagnement que les bruits de la ville, pas d’autres comparses que le public. Et puisqu’un maestro espagnol peut en cacher un autre, c’est à l’ombre de Picasso qu’El Bicho raro se produira cet été. On aurait raison d’attendre quelques fulgurances, tant au danseur s’accorde la célèbre phrase du peintre : « Si l’on sait exactement ce que l’on va faire, à quoi bon le faire ? »
La critique : assis par terre, sur des chaises, ou debout, le public, venu assister au nouveau spectacle en plein air du danseur sévillan, Israel Galván, attend avec une certaine impatience. L’enfant terrible du Flamenco est connu pour bouleverser et bousculer les codes. En décortiquant chaque mouvement, chaque pas, chaque geste de la danse traditionnelle de son Espagne natale, il cherche à en retrouver l’essence première. C’est cette volonté qui fait de l’homme l’un des chorégraphes de flamenco les plus en recherchés du moment.
Dans les jardins du musée Picasso, l’air est frais, l’ambiance électrique. Quand il apparaît enfin sur la droite de cette scène improvisée où la façade de l’hôtel Salé sert d’unique décor, le silence se fait, l’atmosphère devient fébrile. Sur le jaune ocre des murs se dessine sa silhouette de grand échassier sombre, vêtu de noir. Les premiers gestes sont secs, tranchants, précis. Le visage anguleux du sévillan dégage une sérénité étrange, presque irréelle. Un sourire vient parfois l’illuminer. La danse séductrice, la parade amoureuse peut commencer. La proximité entre l’artiste et son public va favoriser une émotion intense, une transe singulière. L’effet est d’autant plus fort, qu’aucune musique ne vient accompagner le danseur. Seuls les bruits de la ville vont accompagner son corps en mouvement. Aux cris des oiseaux, il répond par des battements de bras. Aux vrombissements des moteurs, il vibre.
A chaque étape de cette chorégraphie, l’artiste se plie au monde qui l’entoure avec souplesse et légèreté. Il joue des différentes structures du sol, soit pour un effet sonore, faisant claquer les talons métalliques de ses chaussures sur une grille, soit pour un effet visuel, faisant voler la terre qui nimbe ses mouvements d’un nuage de poussière.
Envoûté, subjugué, le spectateur est attentif aux moindres mouvements de cette silhouette musculeuse. Jouant des références, les gestes d’Israel Galván invitent au voyage. Des bas-reliefs égyptiens aux dessins recouvrant les amphores grecques, de quelques pas de hip-hop ou mouvements plus chaloupés d’un tango solitaire, l’artiste chavire la foule, l’entraînant dans son univers de songe. Rien ne l’arrête dans cette course folle pour ravir les cœurs. Il est tout simplement vivant, en phase avec son environnement. Sans effort, l’hidalgo flamboyant terrasse les dernières barrières, les dernières réticences. Avant le mouvement final, avant de faire tomber le haut et bomber le torse, tel un coq conquérant, l’artiste a vaincu et séduit le parterre d’admirateurs.
On ressort sonné et ému de ce Solo poétique et humain d’une rare intensité où, sans fard, Israel Galván s’est mis à nu… Magique et captivant !…
Paris Quartier d’été
Solo de et avec Israel Galván
Musée Picasso
Jusqu’au 2 juillet 2015 à 20 h30
Durée 45 minutes