Ils sont beaux. Ils sont jeunes. Ils sont ambitieux. Ils ont toute la vie pour approfondir l’art difficile de la comédie et de la tragédie. Et pourtant, ils se sont jetés à corps perdu, avec fougue, et avec une certaine insouciance dans l’adaptation théâtrale de L’Eveil du printemps, une œuvre littéraire complexe et dense sur l’adolescence et ses troubles. Au final, ils signent une version resserrée et épurée de la pièce, sans lui faire perdre pour autant son intensité dramatique. Emaillée de maladresses et d’imperfections, elle a le charme indéfinissable et suranné des temps anciens, la gaucherie et l’exaltation de la jeunesse d’aujourd’hui… Jolie gageure !…
L’argument : L’Histoire de L’Eveil du printemps est celle d’adolescents de 14 ans qui ont la rage de vivre et se heurtent violemment aux interdits moraux et sociaux de la fin du XIXe. Leur soif de liberté, leurs espoirs et leurs souffrances sont les nôtres. Cette œuvre, du sulfureux Frank Wedekind, interdite à sa sortie, est toujours d’une actualité brûlante.
La critique : Le théâtre a la taille d’un mouchoir de poche. L’espace dévolu à la scène est réduit. Au centre, sous le feu des projecteurs, Léa Sananes, spectrale dans son chemisier noir d’une autre époque, élimé, usé, déchiré, et en short ultra-court, déclame, en dévisageant le public, des vers d’Arthur Rimbaud, tirés de son poème Sensation. En un clin d’œil, cette apparition intemporelle s’évapore. Servant d’introduction, cette poétique saillie laisse la place à une jeunesse désœuvrée, happée par un tourbillon singulier qui la projette un siècle plus tôt, en Prusse.
Wendla (bouleversante Juliette Raynal), jeune fille de bonne famille, ressent les premiers émois de l’adolescence. Pure, elle est amoureuse du beau Melchior (étonnant Diego Colin). Fanfaron, orgueilleux, il est l’image même du mâle en devenir. Il ne connaît aucune faiblesse. Sûr de son fait et de ses droits, il écrase tout sur son passage et ne tolère aucune faiblesse. Il a pour ami l’hypersensible Moritz (troublant Valentin Besson). Au seuil de l’âge adulte, dans une société hyper-codifiée, chacun verra ses rêves, ses aspirations, se fracasser sur les murs des conventions. De ce parcours initiatique, aucun ne réchappera. Mort ou définitivement brisé, la liberté, un temps découverte, ne sera pour eux qu’un souvenir amer.
Adapter en un peu plus d’une heure ce monument du théâtre était une gageure audacieuse, que la frêle Léa Sananes a relevé avec beaucoup d’humilité et parfois, quelque maladresse. L’intrigue, resserrée sur l’histoire de trois adolescents, garde toute sa force, sa violence et sa verve dramatique. Si certaines scènes, trop stylisées, trop scénographiées, manquent de clarté, elles finissent par prendre tout leur sens. La mise en scène épurée de la jeune femme laisse la part belle au jeu des comédiens, tous parfaitement crédibles dans la peau de ces jeunes gens désœuvrés, en mal de repères. Chacun, avec sa propre sensibilité, incarne avec lyrisme, justesse et gaucherie, ces êtres à la dérive. Ils instillent un peu de modernisme à ces personnages surannés.
La magie du spectacle doit énormément à la fraîche candeur et à la sincère sympathie que dégage la jeune compagnie du Chat noir… On finit par être séduit, autant par leur indéniable talent que par leurs petites maladresses, parfaitement en adéquation avec la pièce.
Festival d’Avignon OFF
L’éveil du printemps de Frank Wedekind
Pixel Avignon
8, rue Guillaume Puy – 84000 Avignon
jusqu’au 26 juillet 2015
tous les jours à 18h30
durée 1h15
Avec Valentin Besson, Diego Colin, Tania Markovic, Juliette Raynal, Léa Sananes
Metteur en scène : Léa Sananes
Scénographe : Jules Le Bihan
Chorégraphe : Hugo Vermeille
Compositeur : Mørse
La compagnie chat noir