Chanteuse, comédienne, Elsa Lunghini est une femme passionnée. Nouvelle vie, nouveau défi et nouveau projet retiennent, pour les mois et les années à venir, toute son attention : un road trip où se mêlent à la fois la photo, la musique et l’écriture. Dans un camion, en compagnie de l’artiste John “D.” Spite, la jeune femme a décidé de sillonner le monde et de graver sur pellicule les paysages, les lieux que son regard bleu azur scrute. Partie du Maroc, elle dévoile une partie de son travail sur le blog e-lunghini.com. Lors d’une rencontre virtuelle, elle évoque son parcours, le passionnant travail autour de Vanishing points et son avenir artistique.
Après la chanson et la comédie, la photographie semble être une nouvelle corde à votre arc artistique, comment cette nouvelle passion, qui est aussi celle de votre père, est-elle devenue indissociable de votre nouvelle vie ?
Elsa Lunghini : Cela faisait longtemps que la photographie m’intéressait, sans oser m’en servir comme moyen d’expression. J’étais aussi très prise par mon travail, ce qui était également un bon prétexte pour ne pas franchir le pas. Sûrement, l’expérience de vie et la maturité m’ont donné plus de matière, un regard plus intéressé et plus ouvert sur le monde. Peut-être qu’inconsciemment, le premier métier de mon père a résonné chez moi plus que je ne pensais, même si notre style photographique n’est pas du tout le même : lui a appris la photo avec un photographe de mode et a essentiellement fait des photos de presse, j’ai été dans l’œil de son objectif, lorsque j’étais jeune, mais il ne m’a jamais initiée à la photo. Ce qui était le plus présent à la maison, c’était la musique. Le véritable déclic a été mon mari – il a lui-même fait beaucoup d’images et de photos – qui m’a forcé la main en m’offrant mon premier appareil, un Mamiya 645, et en posant un regard aussi bienveillant que critique sur mon travail, ce qui me pousse à vouloir m’améliorer et à le surprendre sans cesse.
Qu’est-ce qui vous fascine dans cet art et quelles sont vos sources d’inspiration ?
Elsa Lunghini : L’image en tout premier lieu car elle va provoquer l’imagination de ceux qui la regardent alors qu’on ne leur présente qu’une fraction de temps du réel. On impose un angle de vue, et à l’instar de la peinture, on peut être abstrait, suggestif ou au contraire très figuratif…Le travail de la lumière est une source intarissable d’inspiration. Je suis d’ailleurs fascinée par le travail de Willy Ronis et son rapport au cadre, le regard comme bordé par le châssis d’une toile, Raymond Depardon, pour sa documentation esthétique du réel, Roger Ballen autant pour ses portraits que ses mises en scène dérangeantes, Dominic Turner et Lu Yan Peng pour leur travail sur les teintes et les tirages sur Washi qui donnent une texture pigmentaire et un grain à l’image. Désirée Dolron aussi, pour la lumière et la mise en scène, inspirées de la peinture flamande ; Claudia Rogge pour son magnifique travail de composition. Pour les plus marquants, sinon je suis sensible au travail de beaucoup d’autres.
En tant que photographe, qu’est-ce qui vous intéresse dans les différents paysages que vous traversez ?
Elsa Lunghini : C’est très variable et assez imprévisible. Il y a deux sortes de photographies : la première, une vue globale qui essaye généralement d’inclure dans le cadre la quasi intégralité du champ de vision pour rendre l’impression de ce que l’on ressent (une impression de grandeur, de vide par exemple) ; puis la seconde, une vue plus morcelée qui va permettre de décontextualiser une esthétique : en photographiant, par exemple, le détail d’une roche, on ne montre pas la montagne (bien qu’elle soit présente), et on couche sur le capteur l’adéquation de la matière et de la lumière du moment. Car on ne fait que capturer ce que sculpte la lumière en dessinant des contours à une idée que l’on a de l’instant. Ce n’est pas forcément ce qu’expriment les clichés qui importe, mais plus ce qu’ils procurent comme émotion aux personnes qui les regardent.
En quoi consiste le projet Vanishing Points ?
Elsa Lunghini : Le point de départ de ce projet est la rencontre avec mon mari, qui se cache derrière le pseudo « John ‘D.’ Spite », des envies et des centres d’intérêts communs, le goût du voyage et de l’itinérance. Tout ceci a été le déclencheur. Nous avons donc acheté un camion à la mesure de nos envies pour pouvoir assouvir notre curiosité et notre besoin « d’ailleurs ». Ensuite, chaque voyage en appelant un autre et les possibilités de créer à bord étant immenses, on a décidé de mêler ce qui nous touche, ce que l’on aime, l’écriture, l’image au sens large et la musique, pour pouvoir profiter de la route et de la liberté qu‘elle offre tout en créant sur différents supports et proposer un projet artistique polymorphe, un peu en dehors des sentiers battus.
Ecriture, photo, musique, image, cette collaboration artistique semble un « mix » entre différents courants et différents arts, qu’aimeriez-vous apporter aux autres et à vous-même ?
Elsa Lunghini : Tout voyage, quel qu’il soit, est immersif. C’est un peu ça qu’on propose : des enregistrements sonores qu’on appelle du « field-recording » qui retranscrivent l’espace sonore tel qu’on le perçoit (audible sur la plateforme freesound.org), de la musique qui inspire nos route en faisant soit des covers soit des compositions originales (sur soundcloud), de l’image par le biais de la vidéo, de l’instantané ou même de nos écrits (sur notre blog)… il ne manque aux sens que le goût et le toucher… On essayera de partager des recettes qu’on croisera peut-être… Si tout cela arrive à toucher certaines personnes, les 5 sens seront conquis.
Qu’est-ce qui vous a décidée à partir ainsi à l’aventure ?
Elsa Lunghini : Je pense que j’ai toujours eu envie de ça mais il me manquait sans doute l’impulsion pour le rendre possible.
Ce « road trip » à travers le monde va vous mener à la rencontre de gens de tous horizons, de nouvelles cultures, de nouveaux lieux, que pensez-vous en retenir ?
Elsa Lunghini : Nous n’en sommes qu’au début de ce projet et c’est un peu complexe de faire le bilan de ce qu’il nous reste à découvrir. En tous les cas, chaque jour est déroutant, parce qu’il nous amène des rencontres, des découvertes, des surprises et des problèmes aussi, parfois. Je ne sais pas encore ce que je retiendrai de tout cela, mais je sais ce que le voyage nous impose : c’est surtout, je pense, l’humilité, le respect et l’humour car ce sont les trois ingrédients qui permettent de partager et d’appréhender sainement la route et ce qu’elle apporte en laissant derrière soi tout a priori néfaste à l’ouverture.
Est-ce un tournant dans votre carrière ?
Elsa Lunghini : C’est de ma vie qu’il s’agit, pas de ma carrière et les deux ont toujours été étroitement liées. Sans être un tournant, c’est une direction, un enrichissement personnel et artistique qui ne tourne pas le dos à ce que j’ai fait jusqu’ici. C’est pour moi une suite logique.
Les mois prochains sur les routes du monde, à la rentrée, une exposition, avez-vous d’autres projets : un album, un film ?
Elsa Lunghini : Comme je l’ai dit avant, ce projet est en devenir et nous ne savons pas encore précisément quelle route nous allons prendre. Nous souhaitons avant tout voir le monde et passer la majeure partie de notre temps sur la route, ne pas revenir à un point fixe, vivre à ciel ouvert. Nous envisageons de partir vers l’est avec l’Asie mineure et l’extrême orient en point de fuite. Pour lors, je me concentre sur l’exposition de la rentrée, pour le reste, il est évident que nous n’en resterons pas là…
Retrouvez les autres photos d’Elsa Lunghini sur le le site e-lunghini.com.