Deux reines, deux rivales, deux sopranos, s’affrontent avec virtuosité, force et émotion dans ce drame lyrique où tension et intensité font presque oublier les grandes libertés prises avec la réalité historique. Dans un décor ultra-moderne, les voix des nos deux chanteuses d’opéra – l’une puissante, l’autre plus veloutée – envoûtent et séduisent. Leur duo fait le sel de cette nouvelle adaptation de Maria Stuarda, qui manque parfois d’inspiration, mais pas d’originalité : de belles sonorités, des tonalités élégantes, un jeu savoureux et un ensemble convaincant qui s’éternise un peu sur les adieux à la Reine… Un joli moment en somme.
L’argument : une île, au nord de l’Europe, et deux souveraines : la catholique Marie Stuart, reine d’Ecosse, et l’anglicane Elisabeth qui, elle, règne sur l’Angleterre, se livrent une guerre psychologique sans merci pour le pouvoir. Et comme si cela ne suffisait pas, elles se disputent également l’amour d’un même homme, Robert Dudley. Passion, pouvoir et religion, sont donc au cœur de l’ouvrage de Donizetti.
La critique : La salle est comble. Le rideau se lève. Une femme tout de blanc vêtue, la tête posée sur un billot attend le souffle fatal de la hache. Dans un bruit sourd, la lame tombe, tranche. La tête roule. C’est fini. Maria Stuarda n’est plus. Les spectateurs sont saisis d’effroi. Le noir se fait.
Les notes puissantes, romantiques et mélodieuses virevoltent dans l’air. Le rideau s’ouvre à nouveau. Toute trace du drame est effacée. L’issue fatale n’a pas encore eu lieu. On est à Londres. Le décor est réduit à sa plus simple expression : en arrière-plan, une image rappelle un bâtiment royal, imposant, des canapés Chesterfield sont disposés ça et là comme il se doit dans un intérieur anglais cossu, et sur la gauche de la scène, un pupitre gravé aux chiffres d’Elisabetta attend la Reine. Son peuple, ses conseillers sont présents. Elle doit annoncer son mariage avec le dauphin du Royaume de France.
Alors que figurants et seconds rôles sont habillés de manière contemporaine, la souveraine apparaît, sublime en costume d’époque, pimblochée, fardée, perruquée. L‘iconique Reine vierge (impressionnante Carmen Giannattasio) semble tout droit sortie d’un tableau. Hiératique, empesée dans cette robe d’un autre temps, elle irradie la scène de sa magnétique présence. Elle semble bien seule. Un moment de faiblesse, elle tombe le masque et la perruque. La femme amoureuse, blessée, apparaît sensible, le temps d’un instant. Crâne rasé, elle émeut. L’image est belle. Elle restera gravée dans l’esprit du public. Bien qu’absente, Maria Stuarda (touchante Aleksandra Kurzak) est toujours là. Menace invisible, emprisonnée dans un château au nord de Londres, elle fait vaciller le pouvoir d’Elisabetta et lui vole son grand amour, Robert Dudley, comte de Leicester (charmant Francesco Demuro dont la voix a bien du mal à prendre de l’amplitude).
Entre jalousie et lutte de pouvoir, les deux Reines vont s’affronter. L’une après l’autre, elles vont jouer leur partition avant de se rencontrer dans une duel cruel et violent, dont aucune des deux ne sortira indemne. Maria sera condamnée à mort, Elisabetta perdra à jamais l’amour de Dudley. Après une première partie enlevée, le second acte traîne en longueur. Les adieux à la Reine d’Ecosse sont lents, trop, peut-être. La montée à l’échafaud, interminable, n’a pas la dimension dramatique de ce que fut l’exécution de Marie Stuart qui s’était auto-proclamée martyre de la religion catholique. Toutefois, Aleksandra Kurzak émeut et touche au cœur. La voix, imperceptiblement moins assurée que celle de sa rivale, est claire et légère. Son timbre offre de jolies fêlures qui enchantent et bouleversent.
Quand Carmen Giannattasio personnifie à merveille la Reine, Aleskandra Kurzak interprète la femme amoureuse, sacrifiée sur l’autel du pouvoir. A leurs côtés, Sophie Pondjiclis fait entendre sa très jolie voix et incarne avec justesse la dame de compagnie de Maria Stuarda. Christian Helmer s’impose en Cecil, le « bras droit » de la Reine, et fait entendre sa belle tessiture de ténor.
En jouant sur une scénographie moderne, Moshe Leiser et Patrice Caurier proposent une nouvelle lecture de ce drame lyrique. La prison, hyper-réaliste, contraste avec la déchéance d’une Reine très « XVIe siècle », symbole du romantisme. Le décor très aseptisé du second acte s’oppose à celui de l’exécution. La froideur du blanc carrelage répond aux déchirements des adieux, véritable morceau de bravoure d’ Aleskandra Kurzak…. L’ensemble doit beaucoup au talent et charisme des deux reines qui séduisent tant par leur voix que par leur prestance.
Maria Stuarda de Gaetano Donizetti
Théâtre de Champs-Elysées
15, Avenue Montaigne, 75008 Paris
Jusqu’au 27 juin 2015
A 19h30
Durée : 2h10 environ
Drame lyrique en deux actes (1835)
Livret de Giuseppe Bardari, d’après la tragédie éponyme de Friedrich von Schiller
Direction de Daniele Calerai
Mise en scène de Moshe Leiser et de Patrice Caurier
Décors de Christian Fenouillat
Costumes d’Agostino Cavalca
Lumières de Christophe Forey
Avec Aleksandra Kurzak, Carmen Giannattasio, Francesco Demuro, Carlo Colombara,
Christian Helmer, Sophie Pondjiclis
Orchestre de chambre de Paris
Chœur du Théâtre des Champs-Elysées direction Patrick Marie Aubert