Rarement suite n’a été aussi réussie que celle du Misanthrope. Avec verve et ingéniosité, Jacques Rampal, digne héritier de Molière, fait revivre la langue des Précieuses Ridicules Avec fougue et malignité Célimène et Alceste s’aiment et s’affrontent à coup d’intelligentes et caustiques joutes verbales. Abordant des thématiques propres au XVIIe siècle, qui font écho avec une étrange justesse aux problématiques du monde contemporain, la pièce charme et séduit. Réjouissant !..
Qu’il est doux de retrouver sur scène des personnages du patrimoine littéraire et de les voir évoluer sous une plume digne de leur créateur. Ecrit en alexandrins dans la belle langue de Molière, Célimène et le Cardinal ne craint pas la comparaison avec son illustre pièce inspiratrice, Le Misanthrope. Les phrases sont riches. Le verbe est beau. Le parler précieux. La poésie chante délicatement aux oreilles et enchante. Bien qu’écrite en 1992, cette pièce a tout du théâtre classique : unité de temps, de lieu et une intrigue parfaitement huilée.
Vingt années se sont écoulées depuis que la belle et piquante Célimène a refusé le main du l’atrabilaire et misanthrope Alceste. Elle, la noble courtisane, fille de duc, s’est rangée de la galanterie, retirée de la cour, et a épousé un bourgeois, un roturier dont elle est tombée amoureuse. Lui, voulait fuir le monde, il est devenu un élégant prélat, un cardinal très en vue à la Cour, ce lieu de perdition qu’il fuyait jadis. Auréolé de la pourpre cardinalice, il rend visite à ses connaissances d’antan, ceux précisément dont il critiquait la méprisable et futile existence. Dans ce pèlerinage amical, sa visite à la belle Célimène est sous haute tension. Y-a-t-il encore de l’amour entre eux ? Alceste retrouvera-t-il dans cette femme de quarante ans le charme de la jeune fille qui l’avait tant ému ? Célimène, malgré son refus d’alors de convoler en juste noces, est-elle toujours entiché de ce ténébreux sir ?
Exquise, pétillante et précieuse, Célimène – interprétée magnifiquement par la délicieuse Gaëlle Billault-Danno – semble inquiète. La visite d’Alceste, son ancien amoureux, la met dans tous ses états. Orgueilleux, conquérant, celui qui fut le Misanthrope – charismatique et plaisant Pierre Azèma – semble définitivement réconcilié avec le genre humain. Triomphant et sûr de son charme, il entre dans la danse avec aplomb. Toutefois, il espère en secret toujours plaire à sa belle.
Confrontés l’un à l’autre, nos deux protagonistes, encore éperdument amoureux, ont bien du mal à se parler. La carte du tendre semble ne pas être faite pour ces deux êtres. De ce face à face naissent des dialogues intenses, pleins de fougue et d’élégance. La douce Célimène n’a rien perdu de son piquant. Quand l’énigmatique homme d’église l’attaque, elle sort les crocs avec délice. Telle une louve, elle défend son honneur, son sexe, sa famille et sa tranquillité. Faute de pouvoir la saisir, Alceste devient violent et se cache derrière la religion pour acculer celle qu’il aime sans parvenir à la blesser tout à fait retenue par la passion qui l’obsède depuis plus de 20 ans. L’âge n’a rien assouvi de leur caractère.
Abordant de nombreux thèmes (la religion, le Roi, la condition féminine…), nos deux personnages se défient et opposent en permanence vice et vertu. La légèreté des premiers échanges fait place à une dureté froide, sourde et aveugle. Derrière les traits d’esprits, leurs âmes d’acier s’aiguisent et s’échauffent. Le clash est imminent. La salle retient son souffle. La femme serait-elle l’égale de l’homme, une réalité incongrue au 17ème siècle. En jouant avec les mots, Jacques Rampal, à l’instar de son imminent aîné, signe une critique virulente du siècle qui préfigure les Lumières, où la philosophie combat l’obscurantisme véhiculé par l’Eglise. Si l’époque est différente et si les problématiques ont évolué, il n’en reste pas moins que le texte résonne avec pertinence dans notre époque. Célimène n’est-elle-pas une féministe dans l’âme, une révolutionnaire éprise de liberté, de démocratie et d’égalité ?
Emaillée de clins d’œil aux textes de Molière, la pièce fait la part belle à la langue, aux bouts rimés et aux tournures élégantes. Drôle, cocasse et impertinent, ce spectacle séduit tant par sa fraîcheur que par l’intelligence de sa mise en scène… Un merveilleux moment, en somme !…
Célimène et le cardinal de Jacques Rampal
Comédie Bastille
5, Rue Nicolas Appert
75011 Paris
Jusqu’au 27 juin 2015
du mardi au samedi à 19h30
Auteur : Jacques Rampal
Artistes : Gaëlle Billault-Danno, Pierre Azéma
Metteur en scène :Pascal Faber