Py aime le théâtre à la folie et nous le prouve une fois encore avec Orlando ou l’impatience, sa nouvelle fresque baroque. A l’instar du majestueux décor qui tourne, virevolte et change au rythme des scènes et des musiques, le spectateur est emporté dans une valse délirante, satirique, verbeuse et surtout hilarante. Dans ce tourbillon sans fin qui interroge sur la filiation, le vieillissement, l’amour, le sexe, le théâtre et le (la) politique, la grâce surprenante et insolite de cette comédie burlesque fait mouche… Cédez sans tarder aux appels des comédiens, entrez dans cette danse fascinante et tragique, véritable cri d’amour au théâtre.
L’argument : Orlando cherche désespérément son père. Sa mère, célèbre actrice, lui donne à chaque acte une piste nouvelle qui l’entraîne dans une identification toujours plus extravagante. Chacun de ses pères possibles est aussi un théâtre tout autant qu’une philosophie possible.
La critique : Orlando, interprété avec beaucoup de finesse par le charmant Matthieu Dessertine, est un jeune premier rêveur, poète en devenir, artiste en gestation. Il recherche désespérément un père biologique tout comme spirituel. Il rêve de théâtre et d’amour. Étouffé par une mère (Mireille Herbstmeyer, magistrale), grande et célèbre actrice qui peine à retrouver, dans la longue liste de ses amants, le nom de celui qui lui a fait un fils, Orlando a bien du mal à s’émanciper. Il questionne, s’interroge et s’identifie à ses différents pères putatifs qui vont égrener sa jeune existence. En quête de sens et de vérité, Orlando a des airs d’Olivier Py jeune. Et c’est tout le sel de cette tragi-comédie fleuve. L’auteur et metteur en scène y a mis beaucoup de lui, que ce soit dans le personnage-titre, ou dans la Grande Actrice, dans les différents pères successifs (impressionnant Philippe Girard dont les airs torturés et les excès de bavardage peuvent sur le long terme lasser, notamment dans la scène finale presque superflue), dans le bouffon (formidable et cabotin Jean-Damien Barbin), et un peu aussi dans le ministre de la Culture (fabuleux Eddie Chignara).
Si Orlando ou l’impatience a fait les beaux jours du dernier Festival d’Avignon, ce n’est pas pour son verbiage prolixe et peut-être trop bavard, mais bien pour sa magie baroque, burlesque, presque irréelle. Entre cet entrelacs de tirades mystico-philosophiques très « claudéliennes » sur la spiritualité culturelle, l’impuissance du politique, la place du théâtre dans nos sociétés et la quête du soi, s’intercalent des scènes puissantes, cocasses et comiques qui font fondre les dernières réticences et emportent l’enthousiasme. Olivier Py n’est jamais aussi bon que dans le mélange des genres et dans la démesure. Cette fresque folle et poétique en est un bel exemple.
Ce dramaturge, amoureux des mots et de la nature humaine, sait soigner jusqu’au bout ses mises en scène. Avec son complice Pierre-André Weitz, ils ont créé un décor mouvant absolument délirant et grandiose. Au centre, puissamment éclairés de néons, un ring, tournant sur lui-même, sert d’arène de combat à nos protagonistes : le fils est confronté aux regards insensibles et névrosés de ses différents pères putatifs qui ont voué leurs existences à leur art, et l’artiste a la surdité sinistre d’un politique désabusé, envieux, amer et sans âme. Toute ressemblance avec d’ex-ministres de la Culture – Dominique Donnedieu de Vabre qui avait nommé Olivier Py au Théâtre de l’Odéon et Frédéric Mitterrand qui l’en a chassé de façon certes peu délicate – est bien évidemment fortuite et mal venue. D’ailleurs, avec beaucoup d’humour et de malice, l’auteur avoue avoir insufflé certains pans de sa personnalité dans ce personnage divinement détestable qui finira par se faire opérer pour renaître Femme. Aux alentours, la ville, le monde réel, sont représentés par des panneaux de bois sur lesquels sont peints des paysages urbains, qui s’associent et se dissocient à volonté. Devant ce tourbillon, véritable valse des échafaudages qui servent de structures à cet ahurissant décor, on est emporté, subjugué, vaincu par autant de talent.
Et si cela ne suffisait pas tout-à-fait pour adhérer à ce texte un peu long et quelque peu emphatique, la troupe de comédiens finit de nous charmer par un jeu élégant, drôle et émouvant. Les deux jeunes premiers, Matthieu Dessertine et François Michonneau, séduisent par leur fraîcheur ; les comédiens confirmés, Jean-Damien Barbin, Eddie Chignara, Philippe Girard et Mireille Herbstmeyer, par leur jeu empreint de maturité et de folie ; le pianiste, Stéphane Leach, par son toucher délicat. Seul hic à ce tableau idylique, Laure Calamy, manque par trop de sobriété.
Au final, Orlando ou l’impatience d’ Olivier Py est un « ovni » scénique, un poème burlesque, une magnifique ode à l’amour et au théâtre. Déconcertant, bluffant, électrisant, ce spectacle vous donnera envie tout bonnement de chérir un peu plus le théâtre , l’art vivant… Magistral.
Orlando ou l’impatience d’Olivier Py
Théâtre de la Ville
jusqu’au 18 avril.
Durée : 3h20
Texte et mise en scène d’Olivier Py
scénographie, décor, costumes & maquillage de Pierre-André Weitz
lumières de Bertrand Killy
musique de Stéphane Leach
avec Jean-Damien Barbin, Laure Calamy, Eddie Chignara, Matthieu Dessertine, Philippe Girard, Mireille Herbstmeyer, Stéphane Leach, François Michonneau