Les mots défilent avec une infinie délicatesse. Les pages se tournent au rythme de sa voix unique, de ses fêlures et de sa personnalité hors-norme. Le roman crépusculaire de Gilles Leroy se lit avec passion, émotion et violence. Envoûtant, troublant, terriblement humain, il ressemble trait pour trait à sa muse : Nina Simone. Un petit bijou littéraire.
Qui est donc cette femme noire vieillissante, difforme, bouffie d’alcool et affublée d’affreux boubous tachés dont les coutures explosent ? Une diva, et pas n’importe laquelle. C’est Nina Simone, la pianiste au toucher inoubliable, La chanteuse de jazz à la voix unique, la pasionaria de la cause noire aux États-Unis, l’artiste légendaire adulée à travers le monde. Disparue du monde des vivants, elle vit recluse dans une villa du sud de la France, entourée d’une bande de parasites qui profitent des derniers rayons émis par l’étoile Simone.
Quand Ricardo, un homme à tout faire philippin, entre à son service, il n’a pas idée que dans ce taudis, ce capharnaüm – la villa est délabrée, sale, crasseuse, absolument « bordélique »- se cache une légende vivante, une femme hors du commun. Entre la star vieillissante au crépuscule de sa carrière et de sa vie, et le jeune homme frêle, une relation particulière, presque exclusive va naître. Dernier coup de cœur de la diva, Ricardo sera, pour quelques temps, son ombre, son aide, son cataplasme. En nous invitant dans l’intimité de Nina Simone, à travers le regard naïf et crédule du jeune philippin, Gilles Leroy peint par petites touches délicates le portrait sans fard de la célèbre chanteuse.
En s’attachant aux trois dernières années de sa vie, dont on ne sait finalement que peu de choses, il s’attache aux fêlures, aux faiblesses et aux tourments de la femme pour mieux sublimer l’artiste et la rendre terriblement humaine.Dès les premières phrases, l’immersion dans le quotidien de la diva est totale. Loin des spotlights, on découvre une presque septuagénaire confrontée à la solitude, noyée dans l’alcool, atteinte de troubles bipolaires et surmédicamentée. Les pages défilent, la complicité entre Nina Simone et Ricardo grandit, Les confidences deviennent plus intimes. Celle qui fut une légende dévoile ses blessures les plus profondes : son recalage au Curtis Institute, principal conservatoire de musique classique des États-Unis, dont elle ne saura jamais si c’est pour cause de racisme – elle était la seule noire sur plus de 700 candidats -, ou si tout simplement, elle a pas assez bien joué, enfant prodige mal aimée par sa mère, ses échecs multiples et successifs en amour, sa fille qu’elle néglige et ne sait pas aimer.
Gilles Leroy excelle à dépeindre ces femmes fortes en apparence et terriblement faibles en réalité. Après les fêlures de Zelda Fitzgerald dans le gracile Alabama Song, il livre ici, avec beaucoup de tendresse, une image fissurée de Nina Simone : violente, mais pas méchante, dure, mais terriblement attendrissante, colérique, mais magnifique et généreuse… en un mot, humaine. Entre réalité et fiction, ce roman vibre au rythme du jazz et du blues, il épouse les touches du piano, effleurées par celle qui aurait pu être la première concertiste noire, il séduit, touche notre âme et nous émeut… Nina Simone, roman donne terriblement l’envie de réécouter les standards de la tempétueuse diva et de se laisser porter par sa voix unique.
Olivier Frégaville-Gratian D’amore
Editions Mercure de France
Editions folio
