Lui, plus elle, plus un autre, allez venez et entrez dans la danse, danse macabre, triste, amoureuse, séductrice, élégante, délicate, émouvante et mémorielle de ce trio amoureux, vous serez conquis. Sous l’écriture subtile et sensible de la jeune dramaturge, Lucie Depauw, la vieillesse et la maladie d’Alzheimer perdent leur aspect clinique pour prendre une dimension humaine et bouleversante. Ce tango de la mémoire et des âmes est profondément touchant… C’est un véritable coup de cœur théâtral.
L’argument : En cinq mouvements où s’entrecroisent dialogues et récits, deux hommes et une femme au soir de leur existence racontent, pour braver la vieillesse et la mémoire qui s’en va, la beauté de l’amour et du désir. Le passé et le présent se font écho, tout comme leurs partitions progressent parallèlement les unes aux autres. Trio singulier qui fait fi des conventions, Gary, Pierre et Marguerite s’aiment et ont décidé d’affronter le temps et de jouir de la vie jusqu’au dernier moment, avec humour et une infinie tendresse. Chacun porte un regard poétique et lucide, léger et grave, sur lui-même, son rapport à l’autre et sur l’une de nos peurs les plus tenaces : celle de notre propre finitude.
La critique : La scène est nue. Trois miroirs lui donnent de la profondeur. Un à un les trois comédiens envahissent l’espace. L’un semble perdu. Les deux autres, une femme élégante et un homme tenant un phonogramme, s’avancent, souriants. Entre le couple et l’autre homme, beaucoup de respect, de déférence. L’appareil est mis en route. Les premières notes de musique fusent. L’atmosphère semble se détendre. Les trois protagonistes sont fin prêts à se livrer, raconter leur histoire. La femme, élégante et gracieuse (fabuleuse et admirable Elsa Lepoivre), est Marguerite. Ce qu’elle aime c’est danser, « guincher ». D’ailleurs, c’est ainsi qu’elle a rencontré, il y a 51 ans, l’homme de sa vie, Pierre (étonnant et sensible Hervé Pierre). Après avoir exécuté ensemble ce pas de deux, ils ne se sont plus quittés. Ils ont eu quatre enfants, dont le petit dernier est un garçon, l’héritier, celui qui était attendu mais aussi le premier oublié. Essayant de sauver les apparences, Marguerite égrène ses souvenirs. Elle est la mémoire de la famille, par défaut. Son mari, malheureusement, perd la sienne par bribes. Il est atteint de la maladie d’Alzheimer. Le mot n’est jamais prononcé, trop dur, trop réaliste, trop violent. Il est suggéré par cette femme au bord de l’épuisement.
Le temps et la maladie font leur œuvre. Sans souvenirs, Il se construit une autre réalité, celle de la mémoire immédiate. Cette femme à ses côtés, si prévenante, ce n’est plus celle qu’il a épousée, mais Maman. A contrario, celle qui a les mains si douces, celle qui s’occupe de lui, qui le cajole, le lave, il en tombe amoureux. C’est Noémie, c’est l’aide-soignante. Le mal est fait. Au-delà de la maladie et de ses conséquences sur le malade, Lucie Depauw s’est plongée avec beaucoup de tendresse dans l’intimité du couple, dans cette relation d’amour-raison qui se délite.
En parallèle, Marguerite tente de survivre. Elle sort. Elle veut danser, retrouver le plaisir qui a été le ciment de son union avec Pierre. Elle a un besoin vital de s’étourdir, de ne plus penser. Comme une étrange symétrie, c’est grâce à un nouveau pas de deux avec un inconnu, qu’elle va se réveiller et retrouver l’amour-passion, le désir de l’autre. Marguerite est désirable, émouvante, touchante. Elle n’échappe pas au regard gourmand de Gary (charismatique Christian Gonon jouant avec un léger accent américain, si sexy), un veuf venant d’Outre-Atlantique. Pour ce dernier amour, il est prêt à tout, même à vivre sous le même toit que son rival. Loin d’être sordide, vulgaire ou amorale, l’histoire que nous conte la jeune lyonnaise est pleine de grâce, d’élégance et de puissance. Loin des sentiers battus, ce trio singulier et atypique n’est que charme et volupté. L’amour avant tout, l’amour toujours, l’amour jusqu’à la fin. La vie est trop courte pour ne pas en jouir jusqu’à son dernier souffle. Qu’importe la maladie, la vieillesse, nos trois protagonistes sont sans âge, emplis de désir. Ils sont humains et vibrent au rythme du tango. Leurs corps ne font qu’un. Leurs âmes sont unies en un seul et même mouvement, quelques pas de danse.
Porté par trois acteurs absolument extraordinaires, la mise en scène sobre d’Hervé van der Meulen et la chorégraphie légère de Jean-Marc Hoolbecq, le texte, musical, tragique et poignant de Lucie Depauw, résonne avec beaucoup de finesse dans nos cœurs et nos pensées. Si vous entrez dans la danse, vous en sortirez émus, bouleversés, mais point tristes. Cette ode à l’amour « senior » vous enchantera.
Dancefloor Memories de Lucie Depauw
Studio Théâtre
Comédie Française
Carrousel du Louvre
Place de la Pyramide inversée
99, rue de Rivoli
75001 Paris
Jusqu’au 10 mai 2015
Du mercredi au dimanche à 18h30
durée : 1h15
mise en scène d’Hervé Van der Meulen
avec Elsa Lepoivre, , Christian Gonon et Hervé Pierre
Assistant à la mise en scène : Charles Leplomb
Travail chorégraphique : Jean-Marc Hoolbecq
Scénographie : Claire Belloc
Lumières : Stéphane Deschamps
Costumes : Isabelle Pasquier