Derrière la fantaisie acidulée d’une comédie musicale évoquant le monde du sport et une hypothétique sélection olympique, la nouvelle pièce du Hideki Noda retrace les souffrances d’un pays vaincu qui a beaucoup de mal à digérer les démons d’après-guerre, même 70 ans après. En jouant avec les codes et les pantomimes du théâtre traditionnel nippon, le dramaturge met en place une mécanique drolatique et burlesque qui allège son sombre propos. Malgré un final interminable, lié notamment à la difficile passerelle du langage, Egg fascine et interroge… A découvrir avec précaution.
L’argument : Pendant les travaux de rénovation d’un théâtre, on retrouve le manuscrit d’une pièce inédite du grand dramaturge Shuji Terayama, intitulée Egg Tandis que le directeur artistique du théâtre déchiffre le manuscrit, l’histoire de la pièce prend vie sur scène.
La critique : Entre modernisme et tradition, le Japon fascine. Et nos regards d’européens sont souvent surpris par la culture de ce pays aux antipodes de nos propres us et coutumes. Il suffit, le temps d’une soirée, d’assister, au théâtre de Chaillot, à une représentation d’Egg du dramaturge nippon Hideki Noda, pour s’en laisser convaincre.
Pendant 2h15, le metteur en scène joue avec son auditoire, confortablement installé dans la salle Jean Vilar, le faisant voyager à travers les époques et les pays. Si tout commence de nos jours à Paris, très vite, le Japon des années 80, puis des années 60, se dessine avant de laisser place à la Mandchourie d’avant-guerre. De faux-semblants en chausse-trappes, de supporters d’une équipe d’un sport hypothétique où l’on joue avec de vrais œufs (Egg), en groupies d’une pop-star, les pistes se brouillent et les récits s’entremêlent, esquissant par petites touches un portrait sans fard de la société nippone contemporaine.
Si l’histoire d’amour entre Abe, jeune champion d’« Egg », et Ichigo, chanteuse vedette de pop music, sert de trame, c’est bien l’histoire de son pays qu’ Hideki Noda a voulu retracer dans cette pièce. N’omettant rien de la barbarie et de la similarité entre le Japon d’avant-guerre et l’Allemagne nazie, il apporte un éclairage nouveau sur ses concitoyens, et tente de réveiller les démons enfouis d’un pays qui refuse ce lourd héritage.
Bien que certaines images glacent les sangs – cobayes utilisés pour tester tel virus ou tel vaccin –, le spectacle de l’auteur Japonais se veut une réflexion sur le devoir de mémoire, et non une condamnation sans appel d’actes barbares. C’est d’ailleurs dans cette nuance que le talent de ce dernier éclate. Avec beaucoup de finesse et de virtuosité, il fouille les consciences de ses concitoyens et évoque les périodes troubles et sombres de l’histoire de son pays.
Loin de livrer un drame classique, en détournant les codes du théâtre traditionnel nippon (Pantomimes, grimaces, mélange des genres et situations burlesques) et de la pop acidulée, véritable phénomène de société au Japon, Hideki Noda s’amuse et met en scène une comédie musicale délirante, débridée et horrifiante.
Certes, il y a des longueurs, certes, il est parfois difficile de suivre l’action et de lire en même temps les surtitres, certes, la scène ultime traîne et ne cesse pas de finir, mais indéniablement, Egg, servi par une troupe d’une trentaine d’excellents comédiens japonais, interpelle, interroge, et dérange…A vous de voir.
Egg d’Hideki Noda
Texte et mise en scène d’Hideki Noda
Musique de Ringo Sheena
Avec dans les rôles principaux Satoshi Tsumabuki, Eri Fukatsu, Toru Nakamura, Natsuko Akiyama, Koji Ohkura, Takashi Fujii, Hideki Noda, Kindai Kôhei et Isao Hashizume
Et la troupe Ruiko Akikusa, Shunya Itabashi, Chika Uchida, Takaya Oishi, Tomoko Onishi, Itsuki Kawaharada, Masanori Kikuzawa, Taketo Kubota, Ayaka Kondo, Babibube Sato, Yugen Sato, Naomi Shimotsukasa, Yuji Shirakura, Hiroki Takeuchi, Emmie Nagata, Kanako Nishida, Takuma Noguchi, Junko Fukai, Takashi Masuyama, Yuta Matoba
Voix française de Jacques Obadia
Décor d’Yukio Horio
Lumières d’Ikuo Ogawa
Costumes de Kodue Hibino
Effets sonores de Yukio Takatsu
Chorégraphie de Ikuyo Kuroda
Effets visuels de Shutaro Oku
Conception coiffure et maquillage d’Isao Tsuge
Régisseur général de Masataka Sesaki
Au théâtre de Chaillot
salle Jean Vilar
Jusqu’au 8 mars 2015