Humour, cynisme, répliques qui font mouches, sont le sel de cette pièce grinçante qui signe le grand retour sur les planches de Miou-Miou. En jouant la carte de la dédramatisation sur fond de misère sociale, la comédienne s’amuse avec ses deux irrésistibles acolytes, Brigitte Catillon et Isabelle de Botton.
L’argument : Boston, quartiers pauvres. Margie, mère célibataire d’une adulte handicapée, se débat pour s’occuper de sa fille et trouver du travail, sans se départir d’un humour glacé qui la fait tenir debout. Sur les conseils de ses amies, elle retrouve la trace de Mike, son ancien amour, issu comme elle de la classe ouvrière, mais devenu un médecin aujourd’hui reconnu. Convaincue qu’il peut lui trouver du travail, elle s’invite à son domicile et remue le passé…
La critique : A-t-on les moyens d’être quelqu’un de bien quand on est pauvre ? C’est à cette question que tente de répondre l’auteur américain, David Linslay-Abaire, dans sa pièce, Good people, qui a triomphé à Broadway en 2011.
Adapté en français, sous le titre Des Gens biens, au théâtre Hébertot, le spectacle est l’occasion de retrouver sur les planches une comédienne rare, Miou-Miou. Elle est Margie, une chômeuse, une vraie battante que la vie n’a pas épargnée et qui a bien du mal à garder un toit sur sa tête et sur celle de sa fille handicapée. Sa meilleur arme contre la dureté de cette existence miséreuse est sa langue acérée et son humour froid, glacial, parfois cynique.
Dans ce monde sans pitié, elle ne s’apitoie jamais, pas plus qu’ elle n’abandonne, toujours la tête haute, elle avance, épaulée par sa logeuse, Dottie – Isabelle de Botton délicieusement odieuse sous ses airs naïfs – qui n’hésiterait pas à vendre son fils pour un dollar de plus à glisser dans son escarcelle, et sa meilleure amie, Jean – Brigitte Catillon, parfaite – qui, comme elle, vivote et utilise son franc parler et ses répliques cinglantes comme moyen de défense face à la dureté de sa vie… Elles n’ont qu’un seul objectif : survivre.
Fait face à cette pauvreté, qui se transmet de génération en génération, un jeune et vrai gentil qui essaie de s’élever dans l’échelle sociale par le travail – le prometteur Julien Personnaz , dont le jeu, tout en finesse, donne du corps à un personnage presque transparent – et l’ambitieux Mike, nouveau riche, qui donne à son passé de lâche des allures de dur à cuire, afin d’incarner aux yeux de la bonne société bostonnienne, la « succesfull story » à l’américaine – le charismatique Patrick Catalifo, parfait en homme veule et lâche. Ce dernier, ex-amour de Margie, s’est définitivement installé dans la réussite sociale en vivant dans les quartiers chics de la ville et en épousant la jeune et très belle Kate – Aïsa Maïga, particulièrement mal à l’aise dans ce rôle, son jeu incertain et ses minauderies incessantes, certainement imposées par la mise en scène, l’empêchent d’incarner cette universitaire brillante.
Tous ces personnages gravitent autour de Miou-Miou, omniprésente, qui joue avec beaucoup de naturel cette femme sans âge que la vie a égratignée, blessée, mais jamais mise à terre. C’est toute la force de ce texte cru. Si la misère en est la colonne vertébrale, l’absence de misérabilisme en est la substantifique moelle. En frôlant les lignes du sensible, sans pour autant tomber dans la facilité « tire-larme », l’auteur, dans un style simple et corrosif, a réussi, avec beaucoup de justesse, à décrire la vie dans ces quartiers pauvres américains, où la lucidité et la fatalité l’ont emporté depuis longtemps sur l’espoir. Comme le dit Margie, « L‘espoir c’est bon pour les imbéciles » et « il faut être égoïste pour s’en tirer aujourd’hui. Si ce n’est pas toi d’abord, c’est toi jamais. » La mise en scène, assez sobre, d’Anne Bourgeois, souligne avec beaucoup d’intelligence la justesse de ce texte si actuel. Toutefois, malgré une ambiance jazzy, véhiculée par la bande son, certains traits, trop caricaturaux, et un maniérisme exacerbé, notamment dans le jeu d’Aïssa Maïga, dans l’une des scènes les plus longues et les plus cruciales de la pièce, empêchent d’être totalement absorbé par ces Gens biens…dommage.
Des gens biens
Pièce de David Lindsay-Abaire
adaptée par Gérald Aubert
mise en scène d’Anne Bourgeois
avec Miou-Miou, Patrick Catalifo, Brigitte Catillon, Aïssa Maïga, Isabelle de Botton et Julien Personnaz
Au théâtre Hébertot
78 bis, boulevard des Batignolles 75017 Paris
représentations à partir du 29 janvier 2015
du mardi au samedi à 21h
matinée : dimanche 15h