Très attendu, le retour sur les planches d’Isabelle Adjani manque de sel et de saveur. Si l’actrice n’a rien perdu de son talent et joue magistralement l’amoureuse éconduite, le texte, loin d’être à la hauteur faute d’une écriture soignée, tombe vite dans le sitcom… quel gâchis.
L’argument : Librement inspirée de la Phèdre de Racine, Kinship nous raconte l’histoire passionnelle qui se tisse entre une femme d’influence, rédactrice en chef (Isabelle Adjani), et un jeune reporter (Niels Schneider) qui travaille sous ses ordres et l’obsède de plus en plus. Mêlant inexorablement la vie intime et la sphère professionnelle, ces deux êtres sont pris dans les mailles d’une relation complexe, délectable et destructrice, sous le regard complice et parfois envahissant d’un troisième personnage (Vittoria Scognamiglio), meilleure amie de la première et mère possessive du second. Histoire triangulaire faite de passion et de transgression, l’intrigue de Kinship se noue et se dénoue, au fil de vingt-deux scènes aussi drôles qu’émouvantes.
La critique : Après huit ans d’absence, la Reine Isabelle remonte sur les planches dans la création mondiale d’une pièce contemporaine de l’américaine Carey Perloff : Kinship (affinité ou parenté, en Français). Attendu, son retour a suscité bien des questions. Que n’a-t-on pas entendu !… : caprice de diva, épuisement de l’autre tête d’affiche (Carmen Maura), remplacement du metteur en scène à la dernière minute… etc… Cela, au final, n’a que peu d’importance. Derrière les fausses rumeurs, les faux-semblants et un certain « goût du sang« , ce que nous voulions tous, c’était retrouver notre Isabelle, celle qui nous a fait vibrer, entre autres , dans L’Eté meurtrier de Jean Becker, La Reine Margot de Patrice Chéreau, ou La Repentie de Laetitia Masson.
La bonne nouvelle… c’est qu’elle est là !… Magistrale, hypnotisante, juchée sur ses hauts talons, le fameux regard bleu intense et la douce voix de jeune fille, si reconnaissable, Isabelle Adjani inonde la scène du théâtre de Paris de sa présence et de son talent. Elle est parfaite dans le rôle de cette rédactrice en chef épanouie, accomplie dans ses vies professionnelle ou personnelle, et qui, par passion amoureuse pour un jeune ambitieux, accepte de tout perdre. Dans cette version moderne de Phèdre (bien qu’elle se défende de ce parallèle…), l’actrice retrouve les grandes héroïnes qui ont fait sa renommée, les amoureuses sombrant peu à peu dans la folie quand l’être chéri les délaisse. Elle n’est jamais aussi sublime que dans la déchéance et les affres de la passion. Il y a un peu de Marguerite Gautier et de Camille Claudel dans « Elle », qu’incarne la comédienne, cette brillante et autoritaire journaliste éprise d’un jeune pigiste (Niels Schneider), qui finira par l’abandonner. C’est d’ailleurs ce qui a séduit la comédienne – féministe convaincue- : « dans un monde où le féminin est de plus en plus bafoué et mis à mal, je voulais incarner un personnage qui représente toutes les femmes, qu’elles soient fortes ou faibles, autoritaires ou amoureuses, qu’elles soient humaines, tout simplement. »
La mise en scène, particulièrement sobre et épurée, souligne le jeu, plein de finesse, toujours sur la corde du sensible d’Adjani, la fougue de Niels Schneider et l’humour de Vittoria Scognamiglio. A se demander – Isabelle Adjani étant la directrice artistique de cette pièce -, si cet écrin très simple n’est pas un subterfuge de plus pour que le spectateur ne soit focalisé que sur l’interprétation des comédiens et non sur le texte, particulièrement maladroit.
Eh oui !… Malgré des comédiens talentueux, émouvants et touchants, la pièce ne fonctionne pas, faute à la faiblesse de l’écriture. Auteure reconnue Outre-Atlantique, Carey Perloff rate sa réinterprétation du mythe de Phèdre et sa mise en abîme. Et ce n’est pas en mêlant à son scénario des scènes de la pièce de Jean Racine, jouées par une danseuse japonaise aux faux airs d’une Adjani trentenaire, et dont les vers sont dits en voix « off » par la comédienne, que le jeu de miroir risque de fonctionner. Malheureusement, le texte de l’auteure américaine, plat et bourré de clichés, fait pâle figure face à celui du dramaturge français: il manque de fougue, de souffle tragique et surtout, de poésie.
Le tout est accentué par le choix de la metteure en scène et de la directrice artistique, d’avoir amputé la pièce originale d’au moins les deux tiers, et de l’avoir « tronçonnée » en 22 saynètes. En voulant apporter du rythme et de la modernité, c’est tout le contraire qui se produit. Les multiples interludes de noir absolu, entrecoupant chaque scène, alourdissent l’ensemble … Ne boudons pas notre plaisir pour autant. Celle qui incarna sur les planches, il y a huit ans, Marie Stuart, le dernier jour de sa vie, est toujours la même : subtile, troublante et touchante. Elle donne tout, jusqu’ au baisser de rideau, notamment dans une dernière scène particulièrement réussie où, les larmes aux yeux, la voix vibrante, elle nous émeut, nous bouleverse… Alors, malgré de trop nombreuses maladresses, le charme finit par opérer… On ne peut rester de marbre devant tant de sensibilité, de force et de charme. Si la pièce est incontestablement ratée, le talent de la comédienne demeure intact. Isabelle reste Adjani…
Kinship de Carey Perloff, texte traduit par Séverine Magois
Mise en scène de Dominique Borg
Direction artistique assurée par Isabelle Adjani
Avec Isabelle Adjani, Vittoria Scognamiglio et Niels Schneider
Dispositif scénique de Barnabé Nuytten
Création vidéo de Olivier Roset
Musique d’Olivier Schulteis
Théâtre de Paris
Du mardi au samedi à 21h00
samedi 16h00
dimanche 15h30