Multiples ou uniques, assemblés ou isolés, les corps des danseurs de Thierry Smits se contorsionnent, s’attirent et se repoussent dans un ballet empruntant aux transes du monde leur essence, leur diversité. La frontalité de leur nudité saisit, certains tableaux d’une rare intensité captivent, pourtant l’ensemble disparate se perd dans une profusion de thématiques sans véritable lien. Dommage !
Face au public, onze danseurs nus sous des draps blancs attentent. Statues que l’on a cachées par pudibonderie, évocation des femmes afghanes portant des burqas immaculées, notre imagination galope. De leurs voix gutturales, ils semblent pousser quelques cris guerriers pour se donner du courage. Des bruits étranges, rappelant le bruit de barres de fer qui s’entrechoquent, ponctuent cette étonnante mélopée. Puis les corps se meuvent, avancent vers le devant de la scène. Les gestes cachés par le tissu laissent apparaître çà et là des bouts de peaux, de fesses, de sexe. Visions fantomatiques, cauchemardesques, leurs visages plaqués contre l’étoffe grimacent et se tordent.
La musique emplit l’espace, les beats s’accélèrent. Les corps se dévoilent dans leur nudité frontale, presque agressive. Ils se déforment ou se délient. Dans une succession de mouvements frénétiques, les interprètes entrent en transes, comme transpercés, traversés par une folie passagère, inquiétante. Ainsi de suite, ils vont enchaîner des moments de douceur et d’aliénation, des danses guerrières, des hakas et des prières à un dieu païen.
S’attirant pour former un monstre, un mille-pattes humain tout droit sorti du Jardin des délices de Jérôme Bosch, empruntant à toutes les cultures rites et transes, les danseurs à corps perdu envahissent le plateau dans leur plus simple appareil. Chaque tableau évoque des thématiques aussi variées que la masculinité, la virilité, la sexualité ou encore la folie et l’exclusion. Difficile de savoir quel fil tiré tant ils semblent se démultiplier à l’infini. Au-delà de la force vibrante des interprétations, de la beauté irradiante, provocante, radicale de ces corps en sueur, de l’intensité de certaines images, la pièce de Thierry Smits perd de sa substance faute d’une dramaturgie assumée. A trop vouloir dire de chose, il noie son propos dans une rythmique frénétique, dans une profusion de mouvements.
Si certains gestes, certains enchaînements séduisent, si certaines transes attrapent et envoûtent, l’ensemble trop décousu, trop foisonnant, finit par lasser et c’est bien dommage, car tous les ingrédients sont réunis pour ensorceler un auditoire, surchauffé par la fournaise avignonnaise, qui ne demande qu’à être embarqué dans un voyage aux confins des rites et des transes où la nudité s’efface derrière la performance.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Anima ardens de Thierry Smits – Compagnie Thor
Festival d’Avignon le OFF
La Manufacture – Patinoire
2, rue des écoles
84000 Avignon
du 6 au 15 juillet 2018
tous les jours à 19h50 relâches les 8 et 12 juillet 2018
durée 1H35 trajet compris
Chorégraphie de Thierry Smits assisté de David Zagari et de Vincenzo Carta
Avec Linton Aberle, Ruben Brown, Davide Guarino, Michal Adam Goral, Gustavo Monteiro, Oskari Nyyssölä, Emeric Rabot, Nelson Reguera Perez, Oliver Tida Tida, Eduard Turull, Duarte Valadares
Création sonore : Francisco López
Création vocale : Jean Fürst
Création lumières et coordination technique: Bruno Gilbert
Régie son : Jean-François Lejeune
Production : Compagnie Thor, Fabien Defendini, Karim Mohdhi
En collaboration avec : Le Théâtre Varia
« En coproduction avec : Châteauvallon – Scène Nationale Avec le soutien du Ministère de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Wallonie-Bruxelles International et Wallonie-Bruxelles Théâtre/Danse, et l’aimable aide du Théâtre de Liège.
Crédit photos © Fatih M. Kaynak