Solas, Candela Capitán © T-Space
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« Solas », la danse hypercontemporaine de Candela Capitán

De passage éclair à Paris, la chorégraphe espagnole donne a voir des corps monopolisés par le capital dans une performance froide mais généreuse.

La venue de Candela Capitán à Paris s’est faite relativement discrète dans le milieu de la danse, mais elle avait tout d’un événement. Cet après-midi de juin, une foule de modeux s’aventurait sous le dôme de l’espace Niemeyer pour voir cette performance dans le cadre de Manifesto, événement artistique et commercial organisé par le magazine Kaleidoscope. La jeune artiste espagnole, qui vit à Barcelone, fait pourtant partie des personnalités les plus désirables de la jeune garde chorégraphique, courtisée par le milieu de la mode, invitée autant dans les lieux d’art que dans ceux de la danse (mais pour l’instant trop peu en France). L’événement réunissait donc une assemblée select parmi laquelle la papesse de la mode Michèle Lamy ; il faut dire que l’artiste originaire de Cadix sait jouer d’une économie de la visibilité qui ferait presque d’Instagram une extension de la scène. Sur la même plateforme, il y a quelques mois, Kanye West la validait en repostant des vidéos de ses danseuses en body rose twerkant pour des ordinateurs.

Solas, Candela Capitán © Kaleidoscope
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C’est cette performance, Solas, qui est présentée ce jour-là dans ce monument d’architecture, et la voir en vrai lui fait gagner forcément en épaisseur sans diluer ce qui fait son efficacité virale, de son pouvoir iconique. Lorsqu’on pénètre sous le toit arrondi du siège historique du PCF, d’abord, la lumière est éteinte, seuls brillent des écrans de MacBook posés au sol et les visages des cinq danseuses éclairés par leurs iPhone, allant et venant dans la pénombre sur une boucle de piano sous reverb spectrale au possible, opposant déjà une ambiance crépusculaire, limite sordide, à la luminosité glacée et électrique qui baigne la suite du spectacle.

Les humanoïdes imaginées par Candela Capitán, sweats oversizes à capuche relevée sur des collants rose fluo dans des cuissardes blanches, ressemblent à des figures de l’hyper-présent, des purs produits du zeitgeist, jusque dans leurs corps voûtés, recroquevillés sur les smartphones. Plus tard, en bodys de lycra, elles se mettent à danser pour les ordinateurs, effectuant, chacune côte à côte, un camshow qu’il nous est donné de suivre en direct sur un site porno. Ce que l’on voit au plateau, ce sont ces cinq solitudes se contorsionnant devant l’écran, les jambes en l’air, le dos cambré ou les doigts sur le vagin, dans des poses suggestives répétées jusqu’à l’écœurement, pendant que les hauts-parleurs crachent un beat répétitif.

Solas, Candela Capitán © Kaleidoscope
© T-Space

Que le pseudo-scandale provoqué par les internautes devant les vidéos partagées par le rappeur américain en dit autant sur les paniques morales du présent que sur la capacité de Candela Capitán à faire de la provoc dans un langage qui parle et qui résonne. Solas emploie le vocabulaire de la culture globalisée et la syntaxe de l’avant-garde. En résulte, une sorte d’ambigüité par laquelle on ne sait trop, au premier abord, si l’artiste est juge ou parti, si la critique est hypocrite puisqu’elle se repaît bien de ces images, ou si, à l’inverse, elle est absente alors que les images d’auto-exploitation la nécessitent. Mais comme Solas est une pièce réussie, la réponse est dialectique : elle prend la voie, comme souvent dans l’art contemporain, d’une sorte d’accélérationisme, cherchant de nouvelles interprétations esthétiques à ces fétiches culturels, en les embrassant jusqu’à l’abjection. Les filles désœuvrées et archétypales deviennent alors des figures burlesques, des personnages tragiques et des machines poétiques, le tout en même temps, mais sans occulter qu’elles sont les objets d’une marchandisation des corps.

L’imaginaire sollicité n’est pas neuf — le champ esthétique est partagé par Anne Imhof, Anna Uddenberg ou (LA)HORDE — mais Capitán cultive dans la pièce une générosité qui va finalement à l’inverse de la sécheresse conceptuelle. Par-dessus tout, Solas, donne à voir une recherche chorégraphique singulière, qui, en centrant toutes les forces autour de l’axe allant du bassin à l’écran, parvient en quelque sorte à inventer une danse nouvelle. Physiquement exigeante, celle-ci est servie admirablement par les cinq interprètes. Et si le coït virtuel n’aboutit à aucun climax, il distille un plaisir d’autant plus grand.


Solas de Candela Capitán
MANIFESTO 2024
Espace Niemeyer
2 Pl. du Colonel Fabien, 75019 Paris

Vu le 22 juin 2024
Durée 1h

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